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Catégories – 4

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[4] CHAPITRE IV. § 1. Τῶν κατὰ μηδεμίαν συμπλοκὴν λεγομένων ἕκαστον ἤτοι οὐσίαν σημαίνει ἢ ποσὸν ἢ ποιὸν ἢ πρός τι ἢ ποὺ ἢ ποτὲ ἢ κεῖσθαι ἢ ἔχειν ἢ ποιεῖν ἢ πάσχειν. Ce qui se dit sans aucune connexion indique, selon les cas, ou bien une présence ou un combien ou une qualité ou un relatif ou un où ou un quand ou un positionnement ou une tenue ou un faire ou un subir[1].
§ 2 Ἔστι δὲ οὐσία μὲν ὡς τύπῳ εἰπεῖν οἷον ἄνθρωπος, ἵππος· La présence, pour le dire sommairement, c’est, par exemple, l’homme, le cheval. 
ποσὸν δὲ οἷον δίπηχυ, τρίπηχυ· Une combien, c’est, par exemple, de deux coudées, de trois coudées. 
ποιὸν δὲ οἷον λευκόν, γραμματικόν· Une qualité, c’est, par exemple, blanc, lettré. 
 
πρός τι δὲ <2b> οἷον διπλάσιον, ἥμισυ, μεῖζον· Un en relation à quoi, c’est, par exemple, double, majeur[2].
ποὺ δὲ οἷον ἐν Λυκείῳ, ἐν ἀγορᾷ· Un , c’est, par exemple, au Lycée, au marché[3].
ποτὲ δὲ οἷον χθές, πέρυσιν· Un quand, c’est, par exemple, hier, l’an dernier[4].
κεῖσθαι δὲ οἷον ἀνάκειται, κάθηται· Un positionnement, c’est, par exemple, est couché, est assis[5].
ἔχειν δὲ οἷον ὑποδέδεται, ὥπλισται· Une tenue, c’est, par exemple, est chaussé, est armé[6].
ποιεῖν δὲ οἷον τέμνειν, καίειν· Faire, c’est, par exemple, amputer, cautériser. 
πάσχειν δὲ οἷον τέμνεσθαι, καίεσθαι. Et subir, c’est, par exemple, être amputé, être cautérisé[7].
§ 3. Ἕκαστον δὲ τῶν εἰρημένων αὐτὸ μὲν καθ´ αὑτὸ ἐν οὐδεμιᾷ καταφάσει λέγεται, τῇ δὲ πρὸς ἄλληλα τούτων συμπλοκῇ κατάφασις γίγνεται· Cependant, si aucune des choses qu’on vient de mentionner ne suppose en elle-même une quelconque affirmation lorsqu’on l’exprime[8], en revanche, la connexion des unes avec les autres produit une affirmation[9].
ἅπασα γὰρ δοκεῖ κατάφασις ἤτοι ἀληθὴς ἢ ψευδὴς εἶναι, Toute affirmation, en effet, semble être ou bien vraie ou fausse.
τῶν δὲ κατὰ μηδεμίαν συμπλοκὴν λεγομένων οὐδὲν οὔτε ἀληθὲς οὔτε ψεῦδός ἐστιν, Mais ce qui se dit sans aucune connexion n’est jamais ni vrai ni faux[10].
οἷον ἄνθρωπος, λευκόν, τρέχει, νικᾷ.Ainsi, homme, blanc, court.

Notes :

[1] Sur les choses exprimées sans connexion, cf. supra, 1 a 17 et 18. Chacune de ces choses est considérée comme signe (σημαίνει)d’autre chose. Ce n’est pas un signe linguistique à proprement parler, comme l’est le mot «cheval » pour signifier tout ce qu’est un cheval. On ne sait donc trop sur quelle théorie du signe reposent ces considérations. Il n’est pas question ici de genre d’imputations (κατηγορίαι), comme c’est le cas dans le même répertoire fourni par Top., 1, 9, 103 b 22-23, où Aristote fait état expressément du fait que la liste comprend dix élé- ments et où l’ordre de présentation des éléments de la liste est le même. La différence entre les deux textes, on l’a vu (cf. Introduction, supra, p. LXXVI-LXXXV), c’est que notre passage enregistre les indica- tions diverses fournies par la seule imputation essentielle (celle du τί ἐστι). Aristote explique cette diversité de la manière suivante : «quand se trouve posé un homme et qu’on soutient que c’est là un homme ou un animal, on dit l’essence (τί ἐστι) et on indique une substance. Quand en revanche se trouve posée une couleur blanche et qu’on soutient que c’est là du blanc ou une couleur, on dit !”essence (τί ἐστι) et on indique une qualité » (103 b 29-33). Comme notre passage envisage les choses exprimées sans liaison, donc lorsqu’elles ne font pas l’objet d’imputation, il ne fait pas état de κατηγορίαι. mais les indications qu’il répertorie sont invariablement celles qu’implique l’imputation exprimant l’essence. Remarquons encore que l’auteur de C s’abstient ici de parler de « genre d’êtres » (ce qui aurait été de nature à souligner la portée ontologique de la distinction) et même de « genres » tout simplement, bien qu’il soit plus loin question de « genres » à propos, par exemple, de la qualité et du relatif (11 a 38).
[2] Les quatre premières « catégories » (les plus fréquemment men- tionnées par Aristote : cf. Mét., Δ 8 ; 13 ; 14 et 15) seront étudiées plus loin, mais dans l’ordre substance, quantité, relatif, qualité. Spéculant sur les raisons de cet ordre, les commentateurs anciens ont cherché à dégager des priorités naturelles du point de vue ontologique. Il y a peu de chances que celles-ci correspondent à une préoccupation de l’auteur.
[3] Ces deux exemples rappellent Phys., IV, 11, 219 b 20-21 : οἱ σοφισταὶ λαμβάνουσιν ἕτερον τὸ Κρίσκον ἐν Λυκείῳ εἶναι καὶ τὸ Κορίσκον ἐν ἀγορᾷLa situation particulière d’un sujet ne se confond pas avec le lieu (qui sera mentionné, plus loin, parmi les quan- tités : 4 b 24 et sqq.). Néanmoins, l’on s’est interrogé depuis l’Anti- quité et l’on s’interroge encore sur la pertinence d’en faire une« catégorie » à part, vu que la situation paraît être une « partie du lieu », comme le haut ou le bas (cf. Plotin, VI, 1, 14. 3-4), d’autant que toute situation n’est pas nécessairement plus déterminée qu’une partie du lieu en général (par exemple, « là-bas » ou « là-haut », lieux naturels des astres). D’autre part, doit-on privilégier une situation (« à Athènes ») par rapport à une direction (« vers Athènes »), ou à une origine (« d’Athènes ») ? On peut supposer que la direction locale et l’origine locale sont conçues comme des déterminations liées au mouvement. La localisation, en revanche, paraît une détermination inhé- rente à un sujet, en dehors de tout mouvement. Quant au lieu proprement dit τόπος), c’est-à-dire la limite à l’intérieur de laquelle le sujet corporel se trouve englobé (cf. Phys., IV, 4, 212 a 5-7), c’est au fond une dimension. Celle-ci est certes, en un sens (accidentellement), dif- férente selon la situation de ce sujet (parce qu’au marché, au Lycée, elle ne suppose pas le même corps enveloppant), mais, en tant que limite quantitative, elle est partout identique pour le sujet qui se déplace, parce que, du point de vue quantitatif, ce sujet est englobé partout de la même surface corporelle. Une légère différence quantita- tive serait à la rigueur mesurable, selon que le sujet serait situé, par exemple, dans l’eau ou dans l’air, parce que l’eau comprime ou dilate certains corps plus que l’air.
[4] Le moment n’est pas non plus à confondre avec le temps, mentionné lui aussi plus loin parmi les quantités (4 b 24 et sqq.). Et les mêmes difficultés que celle que soulève la localisation doivent être écartées. Situer un sujet ou une action à un moment du passé, du pré- sent ou du futur n’est pas mesurer une partie du temps, parce qu’une partie du temps, telle que la conçoit notre auteur, est une quantité de temps. Attribuer un temps, c’est mesurer sa durée ; c’est dire, par exemple, telle personne âgée de dix ans et cinq mois, ou tel événement long de dix jours. Or un même temps (durée) peut être attribué à un sujet ou à une action situés à des moments différents (il a eu hier dix ans ; il aura demain dix ans). Il y a donc là deux indications distinctes, comme lorsqu’on fixe un moment dans le temps (cette année est la première de la vingtième olympiade) et lorsqu’on date de ce moment un événement (nous vivons à la première année de la vingtième olympiade). Ici, l’on situe notre vie à un moment; là, on mesure une durée, une partie du temps ou, si l’on veut, un temps écoulé. L’indication du moment, comme celle d’une situation, pour Aristote, se distingue donc respectivement des indications de temps et de lieu, du fait que ce ne sont, ni l’une ni l’autre, des indications quantitatives mesurant soit une durée soit une limite corporelle.
[5] « Positionnement » traduit un verbe (κεῖσθαι) et c’est aussi par un verbe que sont identifiées les trois dernières « catégories ». Le verbe κεῖσθαιcorrespond à peu près au substantif θέσις (« position »), mais n’en est pas l’équivalent, comme on le voit d’après Mét., H 2, 1042 b 19-20 (τὰ δὲ θέσειοἷον οὐδος καὶ ὑπέρθυρον· ταῦτα γὰρ τῷ κεῖσθαί πως διαφέρει). Dans C, en effet, la position (θέσις: 6 b 3) et ses variétés (6 b 11-12) font partie des relatifs, et il sera dit, à l’occasion, que d’elles« dérivent » (παρωνύμως λέγεται) les variétés de positionnement (6 b 13-14). Voir note ad locum. Il importe de remarquer aussi, concernant les trois « catégories » qui suivent, que ËXElV est employé, plutôt que ἕξις (« état »), ποιεῖν, plutôt que ποίησις (« action » ou « production ») et πάσχειν, plutôt que πάθος (« affection » ou « passion »), car les substantifs correspondants, qui renvoient, pour plusieurs, à des réalités classables dans d’autres « catégories » (qualités ou relatifs), indiquent plutôt des puissances (éventuellement attribuables à un sujet), alors que les verbes indiquent des actes. Les quatre dernières « catégones » indiquent donc des genres d’actes (éventuellement attribuables à un sujet). 
[6] La « tenue » (ἔχειν) semble un cas particulier de l’« avoir » en général (ἔχειν) : cf. Mét., Δ 23, 1023 a 8 ; et, ci-après, 15 b 17-32 avec les notes. D’après les exemples cités, le fait visé est celui d’avoir une tenue vestimentaire ; mais d’autres choses pourraient être en cause qui tiennent, par exemple, à la mise extérieure plutôt qu’à l’habillement : avoir le sourire, avoir un air sombre, etc.
[7] Les exemples produits sont empruntés aux opérations médicales (cf. Top., III, 1, 116 b 8-9). Ils dénotent ainsi de façon typique une action exercée sur un « patient » ou subie par un « patient » au sens médical du terme. On a remarqué depuis longtemps que pratiquement tcutes les illustrations des « catégories » supposent la description d’un sujet humain (ou, à défaut, d’un animal) dans une circonstance donnée. L’ongine de la liste des « catégories » est elle-même obscure. Elle pourrait avoir été inspirée en partie de l’inventaire des questions permettant aux rhéteurs de cerner tout ce qui peut être en cause, par exemple dans une affaire à plaider.
[8] L’idée est celle qu’expose en d’autres termes De /’interpr., 4, 16 b 26-29 dans une perspective plus nettement linguistique : « une quel- conque partie [du discours], à l’état séparé, peut être indicative de quelque chose … , mais pas à titre d’affirmation », puisqu’elle « n’affirme pas que c’est ou que ce n’est pas ».
[9] À la lettre, ceci n’est évidemment pas soutenable : l’homme blanc, l’homme de six coudées, l’homme majeur, l’homme au marché, l’homme d’aujourd’hui,… sont des connexions qu’on peut exprimer sans que cela corresponde à une affirmation. La condition de l’affirmation est que soit exprimée comme existante la connexion entre ce qui correspond, par exemple, à une substance d’une part et d’autre part, ce qui correspond soit à l’une des quatre dernières « catégories », soit à l’une des cinq précédentes (à l’aide le plus souvent d’un copule : εἶναι, γίγνεσθαι…). Des connexions entre expressions indiquant la même « catégorie » peuvent aussi produire évidemment des affirma- tions (le juste est cultivé: Mét.,~ 7, 1017 a 8).
[10] Toutefois, tout ce qui se dit avec connexion n’est pas nécessaire- ment vrai ou faux (par exemple : amputons ce cheval blessé) : cf. De l’interpr., 4, 17 a 2-3 (ἀποφατικὸς δὲ οὐ πᾶς κ.τ.λ.). Sur la vérité et l’erreur, voir les textes classiques de Mét., E 4 et Θ 10. Il semble y avoir dans notre passage la volonté de mettre en contraste les distinc- tions « catégoriales » (correspondant aux choses exprimées sans connexion) et la distinction du vrai et du faux (correspondant aux choses exprimées en connexion). Ce contraste rappelle la manière dont se trouvent distingués, en Mét., Δ 7, 1017 a 21-23 et 31-33, les êtres «en soi… qu’indiquent les figures de l’imputation» (καθ’ αὑτὰ… ὄσαπερ σημαίνει τὰ σχήματα τῆς κατηγορίας) et l’être ou le non- être qui indiquent le vrai ou le faux. L’étude des catégories se bornerait ainsi à la perspective de l’être en soi, sans considération, non seu- lement pour l’être vrai, mais aussi pour l’être accidentel, l’être en acte et l’être en puissance, que signale encore Mét., Δ 7.

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