Chapitre 5 : Οὐσία (présence, essence)

§ 1. Οὐσία δέ ἐστιν ἡ κυριώτατά τε καὶ πρώτως καὶ μάλιστα λεγομένη, ἣ μήτε καθ´ ὑποκειμένου τινὸς λέγεται μήτε ἐν ὑποκειμένῳ τινί ἐστιν, Par ailleurs, la substance dont on parle principalement, d’abord et avant tout[1], c’est celle qui ne se dit pas d’un certain sujet et n’est pas inhérente à un certain sujet. 
οἷον ὁ τὶς ἄνθρωπος ἢ ὁ τὶς ἵππος. Ainsi, un certain homme ou un certain cheval[2].
§ 2. Δεύτεραι δὲ οὐσίαι λέγονται, ἐν οἷς εἴδεσιν αἱ πρώτως οὐσίαι λεγόμεναι ὑπάρχουσιν, ταῦτά τε καὶ τὰ τῶν εἰδῶν τούτων γένη· Sont dites, en revanche, substances secondes, les espèces où prennent place les substances dites au sens premier, ces espèces tout comme leurs genres. 
οἷον ὁ τὶς ἄνθρωπος ἐν εἴδει μὲν ὑπάρχει τῷ ἀνθρώπῳ, γένος δὲ τοῦ εἴδους ἐστὶ τὸ ζῷον· Ainsi un certain homme se trouve dans une espèce, l’homme, et le genre de l’espèce est l’animal. 
δεύτεραι οὖν αὗται λέγονται οὐσίαι, οἷον ὅ τε ἄνθρωπος καὶ τὸ ζῷον.Ce sont donc elles qu’on dit secondes, des substances comme l’homme et l’animal[3].
§ 3. — Φανερὸν δὲ ἐκ τῶν εἰρημένων ὅτι τῶν καθ´ ὑποκειμένου λεγομένων ἀναγκαῖον καὶ τοὔνομα καὶ τὸν λόγον κατηγορεῖσθαι τοῦ ὑποκειμένου· Or il appert de ce qu’on vient d’exposer que les choses qui se disent d’un sujet ont nécessairement un nom et une formule imputables au sujet.  
οἷον ἄνθρωπος καθ´ ὑποκειμένου λέγεται τοῦ τινὸς ἀνθρώπου, Ainsi, l’homme se dit d’un sujet, un certain homme. 
καὶ κατηγορεῖταί γε τοὔνομα, —τὸν γὰρἄνθρωπον κατὰ τοῦ τινὸς ἀνθρώπουκατηγορήσεις·—  Et son nom lui est bel et bien imputé, puisqu’on va dire l’homme en cas d’imputation à un certain homme.  
καὶ ὁ λόγος δὲ τοῦ ἀνθρώπου κατὰ τοῦ τινὸςἀνθρώπου κατηγορηθήσεται, — Mais la formule qui est celle de l’homme, va, elle aussi, être imputée à un certain homme, 
ὁ γὰρ τὶς ἄνθρωπος καὶ ἄνθρωπός ἐστιν·— puisque un certain homme est également homme. 
ὥστε καὶ τοὔνομα καὶ ὁ λόγος κατὰ τοῦὑποκειμένου κατηγορηθήσεται. De sorte que et le nom et la formule vont être imputés au sujet[4].
§ 4. Τῶν δ´ ἐν ὑποκειμένῳ ὄντων ἐπὶ μὲντῶν πλείστων οὔτε τοὔνομα οὔτε ὁ λόγοςκατηγορεῖται τοῦ ὑποκειμένου· En revanche, les choses inhérentes à un sujet, pour la grande majorité, ne présentent ni nom, ni formule imputables au sujet[5]
ἐπ´ ἐνίων δὲ τοὔνομα μὲν οὐδὲν κωλύεικατηγορεῖσθαι τοῦ ὑποκειμένου, τὸν δὲλόγον ἀδύνατον·En quelques cas certes, le nom, lui, sans le moindre empêchement, est éventuellement imputé au sujet, mais la formule, c’est impossible. 
οἷον τὸ λευκὸν ἐν ὑποκειμένῳ ὂν τῷ σώματικατηγορεῖται τοῦ ὑποκειμένου, —λευκὸνγὰρ σῶμα λέγεται,— ὁ δὲ λόγος τοῦ λευκοῦοὐδέποτε κατὰ τοῦ σώματοςκατηγορηθήσεται.  Ainsi le blanc, qui est inhérent à un sujet, le corps, est imputé au sujet, puisqu’on dit que le corps est blanc, mais la formule, qui est celle du blanc, jamais ne peut être imputée au corps[6]
[A.2. La substance première : fondement de tout ce qui est]
§ 5. — Τὰ δ´ ἄλλα πάντα ἤτοι καθ´ ὑποκειμένων λέγεται τῶν πρώτων οὐσιῶν ἢἐν ὑποκειμέναις αὐταῖς ἐστίν.  Or tout le reste ou bien se dit de sujets que sont les substances premières ou est inhérent à des sujets que sont celles-ci.  
<Donc, n’étaient les substances premières, impossible qu’il y ait quoi que ce soit d’autre, puisque tout le reste ou bien se dit de sujets que sont celles-ci ou est inhérent à des sujets que sont celles-ci[7]>.
Τοῦτο δὲ φανερὸν ἐκ τῶν καθ´ ἕκασταπροχειριζομένων· C’est d’ailleurs ce qu’on voit en détaillant les cas particuliers.  
οἷον τὸ ζῷον κατὰ τοῦ ἀνθρώπουκατηγορεῖται, οὐκοῦν καὶ κατὰ τοῦ τινὸςἀνθρώπου, — εἰ γὰρ κατὰ μηδενὸς τῶντινῶν <3a> ἀνθρώπων, οὐδὲ κατὰἀνθρώπου ὅλως· Ainsi, l’animal est imputé à l’homme, donc aussi à un certain homme, car s’il ne l’était à aucun des hommes particuliers, il ne le serait pas non plus à l’homme globalement.  
— πάλιν τὸ χρῶμα ἐν σώματι, οὐκοῦν καὶἐν τινὶ σώματι· εἰ γὰρ μὴ ἐν τινὶ τῶν καθ´ ἕκαστα, οὐδὲ ἐν σώματι ὅλως·À son tour, la couleur, inhérente au corps, l’est donc aussi à un certain corps, car si elle ne l’était pas à l’un des particuliers, elle ne le serait pas non plus au corps globalement[8].
ὥστε τὰ ἄλλα πάντα ἤτοι καθ´ ὑποκειμένων τῶν πρώτων οὐσιῶν λέγεται ἢ ἐν ὑποκειμέναις αὐταῖς ἐστίν. Par conséquent, tout le reste ou bien se dit de sujets que sont les substances premières, ou bien est inhérent à des sujets que sont celles-ci, 
Μὴ οὐσῶν οὖν τῶν πρώτων οὐσιῶν ἀδύνατον τῶν ἄλλων τι εἶναι·Si donc les substances premières n’existaient pas, impossible qu’il y ait quoi que ce soit d’autre.  
πάντα γὰρ τὰ ἄλλα ἤτοι καθ´ ὑποκειμένων τούτων λέγεται ἢ ἐν ὑποκειμέναις αὐταῖς ἐστίν· II en faut conclure que toutes les choses autres que les substances premières, ou se disent de ces substances prises comme sujets, ou bien sont dans ces substances qui leur servent de sujets. 
ὥστε μὴ οὐσῶν τῶν πρώτων οὐσιῶν ἀδύνατον τῶν ἄλλων τι εἶναι.Si donc il n’y avait pas de substances premières, les autres non plus ne sauraient exister.
[A.3.1. L’espèce est plus substance que le genre]
§ 6. Τῶν δὲ δευτέρων οὐσιῶν μᾶλλον οὐσία τὸ εἶδος τοῦ γένους·  Pour ce qui est des substances secondes, l’espèce est davantage substance que le genre,  
ἔγγιον γὰρ τῆς πρώτης οὐσίας ἐστίν.  car elle est plus proche de la substance première. 
Ἐὰν γὰρ ἀποδιδῷ τις τὴν πρώτην οὐσίαν τί ἐστι, γνωριμώτερον καὶ οἰκειότερον ἀποδώσει τὸ εἶδος ἀποδιδοὺς ἢ τὸ γένος· En effet, si l’on veut rendre compte de ce qu’est la substance première, on la fera mieux connaître et de façon plus adéquate en fournissant l’espèce plutôt que le genre[9].
οἷον τὸν τινὰ ἄνθρωπον γνωριμώτερον ἂν ἀποδοίη ἄνθρωπον ἀποδιδοὺς ἢ ζῷον, Ainsi, pour rendre compte de cet homme, on en donnera une meilleure connaissance en expliquant qu’il s’agit d’un homme, plutôt qu’en parlant d’animal,  
—τὸ μὲν γὰρ ἴδιον μᾶλλον τοῦ τινὸς ἀνθρώπου, τὸ δὲ κοινότερον,—  car la première indication fournit plutôt le propre d’un certain homme, tandis que la seconde est plus commune[10]
καὶ τὸ τὶ δένδρον ἀποδιδοὺς γνωριμώτερον ἀποδώσει δένδρον ἀποδιδοὺς ἢ φυτόν.  Et pour rendre compte d’un certain arbre, on en donnera une meilleure connaissance en expliquant qu’il s’agit d’un arbre, plutôt qu’en parlant de plante[11].
§ 7. Ἔτι αἱ πρῶται οὐσίαι διὰ τὸ τοῖς ἄλλοις ἅπασιν ὑποκεῖσθαι καὶ πάντα τὰ ἄλλα κατὰ τούτων κατηγορεῖσθαι ἢ ἐν ταύταις εἶναι διὰ τοῦτο μάλιστα οὐσίαι λέγονται· De plus, les substances premières, du fait d’être sujets pour tout le reste et parce que tout le reste leur est imputé ou leur est inhérent, sont celles qui, pour ces motifs, sont dites substances avant tout[12].
ὡς δέ γε αἱ πρῶται οὐσίαι πρὸς τὰ ἄλλα ἔχουσιν, οὕτω καὶ τὸ εἶδος πρὸς τὸ γένος ἔχει· — ὑπόκειται γὰρ τὸ εἶδος τῷ γένει· Or précisément la relation des substances premières à tout le reste est aussi la relation de l’espèce au genre, puisque l’espèce fait office de sujet pour le genre. 
τὰ μὲν γὰρ γένη κατὰ τῶν εἰδῶν κατηγορεῖται, τὰ δὲ εἴδη κατὰ τῶν γενῶν οὐκ ἀντιστρέφει·Les genres, en effet, sont imputables aux espèces, mais les espèces ne le sont pas réciproquement aux genres[13].
— ὥστε καὶ ἐκ τούτων τὸ εἶδος τοῦ γένους μᾶλλον οὐσία. Par conséquent, cela aussi montre que l’espèce est davantage substance que le genre.
[A.3.2. Les espèces sont substances au même degré]
§8. — Αὐτῶν δὲ τῶν εἰδῶν ὅσα μή ἐστι γένη, οὐδὲν μᾶλλον ἕτερον ἑτέρου οὐσία ἐστίν· Cependant, parmi toutes les espèces elles-mêmes qui ne sont pas des genres, l’une n’est en rien davantage substance que l’autre. 
οὐδὲν γὰρ οἰκειότερον ἀποδώσει κατὰ τοῦ τινὸς ἀνθρώπου τὸν ἄνθρωπον ἀποδιδοὺς ἢ κατὰ τοῦ τινὸς ἵππου τὸν ἵππον. En effet, on ne fournira nullement une explication plus adéquate en disant d’un certain homme qu’il est un homme, qu’en disant d’un certain cheval qu’il est un cheval. 
§ 9. Ὡσαύτως δὲ καὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν Du reste, il en va de la sorte aussi pour les substances premières : 
οὐδὲν μᾶλλον ἕτερον ἑτέρου οὐσία ἐστίν·  l’une n’est en rien davantage substance que l’autre. 
οὐδὲν γὰρ μᾶλλον ὁ τὶς ἄνθρωπος οὐσία ἢ ὁ τὶς βοῦς.  En effet, un certain homme n’est en rien davantage substance qu’un certain bœuf[14].
[A.3.3. Il n’y a pas d’autres substances secondes que l’espèce et le genre]
§ 10. Εἰκότως δὲ μετὰ τὰς πρώτας οὐσίας μόνα τῶν ἄλλων τὰ εἴδη καὶ τὰ γένη δεύτεραι οὐσίαι λέγονται·  Mais sans doute, après les substances premières, seuls, pour le reste, les espèces et les genres sont dits substances secondes[15]
μόνα γὰρ δηλοῖ τὴν πρώτην οὐσίαν τῶν κατηγορουμένων·  car ce sont les seuls à faire voir la substance première parmi les choses qui lui sont imputées. 
τὸν γὰρ τινὰ ἄνθρωπον ἐὰν ἀποδιδῷ τις τί ἐστιν, τὸ μὲν εἶδος ἢ τὸ γένος ἀποδιδοὺς οἰκείως ἀποδώσει, En effet, si l’on veut, en présence d’un certain homme, expliquer ce qu’il est, dès lors qu’on fournit l’espèce ou le genre, on fournira une explication adéquate 
—καὶ γνωριμώτερον ποιήσει ἄνθρωπον ἢ ζῷον ἀποδιδούς·—  et on produira une meilleure connaissance en expliquant qu’il s’agit d’un homme qu’en disant qu’il s’agit d’un animal. 
τῶν δ´ ἄλλων ὅ τι ἂν ἀποδιδῷ τις, ἀλλοτρίως ἔσται ἀποδεδωκώς, En revanche, avec toute autre explication, quelle qu’elle soit, on se trouvera avoir fourni une explication hors de propos, 
οἷον λευκὸν ἢ τρέχει ἢ ὁτιοῦν τῶν τοιούτων ἀποδιδούς· comme si l’on répond qu’il est blanc ou qu’il court ou n’importe quoi du même genre[16].
ὥστε εἰκότως ταῦτα μόνα τῶν ἄλλων οὐσίαι λέγονται.  Par conséquent, ce sont sans doute les seules choses, pour le reste, à être dites substances <secondes>. 
§ 11. Ἔτι αἱ πρῶται οὐσίαι διὰ τὸ τοῖς ἄλλοις ἅπασιν ὑποκεῖσθαι κυριώτατα οὐσίαι λέγονται·  De plus, les substances pre- mières, du fait d’être sujets pour tout le reste, sont dites substances avant tout[17].
<3b> ὡς δέ γε αἱ πρῶται οὐσίαι πρὸς τὰ ἄλλα πάντα ἔχουσιν, οὕτω τὰ εἴδη καὶ τὰ γένη τῶν πρώτων οὐσιῶν πρὸς τὰ λοιπὰ πάντα ἔχει· κατὰ τούτων γὰρ πάντα τὰ λοιπὰ κατηγορεῖται·  Or, précisément, la relation des substances premières à tout le reste est aussi la relation des espèces et des genres des substances premières à tout ce qui reste, puisque c’est à eux que tout le reste est imputé. 
τὸν γὰρ τινὰ ἄνθρωπον ἐρεῖς γραμματικόν, οὐκοῦν καὶ ἄνθρωπον καὶ ζῷον γραμματικὸν ἐρεῖς·  Un certain homme, en effet, on le dira lettré ; donc, l’homme et l’animal aussi, on les dira lettrés.  
ὡσαύτως δὲ καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων.  Et il en est encore de même dans les autres cas[18]
[B. Propriétés de la substance[19]][B. l. La substance n’est pas inhérente à un sujet]
§ 12. Κοινὸν δὲ κατὰ πάσης οὐσίας τὸ μὴ ἐν ὑποκειμένῳ εἶναι.  D’autre part, un trait commun, assignable à toute substance, c’est de n’être pas inhérente à un sujet. 
Ἡ μὲν γὰρ πρώτη οὐσία οὔτε καθ’ ὑποκειμένου λέγεται οὔτε ἐν ὑποκειμένῳ ἐστίν. En effet, la substance première, pour sa part, n’est pas dite d’un sujet et n’est pas inhérente à un sujet[20].
Τῶν δὲ δευτέρων οὐσιῶν φανερὸν μὲν καὶ οὕτως ὅτι οὐκ εἰσὶν ἐν ὑποκειμένῳ·Quant aux substances secondes, il est clair là aussi qu’elles ne sont pas inhérentes à un sujet. 
ὁ γὰρ ἄνθρωπος καθ´ ὑποκειμένου μὲν τοῦ τινὸς ἀνθρώπου λέγεται, ἐν ὑποκειμένῳ δὲ οὐκ ἔστιν, L’homme, en effet, se dit bien d’un sujet, un certain homme, mais il n’est pas inhérent à un sujet[21],
—οὐ γὰρ ἐν τῷ τινὶ ἀνθρώπῳ ὁ ἄνθρωπός ἐστιν·— car l’homme n’est pas inhérent à un certain homme ;  
ὡσαύτως δὲ καὶ τὸ ζῷον καθ´ ὑποκειμένου μὲν λέγεται τοῦ τινὸς ἀνθρώπου, et de la même façon, l’animal, lui aussi, se dit bien d’un sujet, un certain homme[22]
οὐκ ἔστι δὲ τὸ ζῷον ἐν τῷ τινὶ ἀνθρώπῳ.  mais l’animal n’est pas inhérent à cet homme[23]
Ἔτι δὲ τῶν ἐν ὑποκειμένῳ ὄντων τὸ μὲν ὄνομα οὐδὲν κωλύει κατηγορεῖσθαί ποτε τοῦ ὑποκειμένου, τὸν δὲ λόγον ἀδύνατον·  Cependant, il y a plus. S’agissant des choses inhérentes à un sujet, leur nom, sans le moindre empêchement, est éventuellement imputé à leur sujet, mais leur formule, c’est impossible[24].
τῶν δὲ δευτέρων οὐσιῶν κατηγορεῖται καὶ ὁ λόγος κατὰ τοῦ ὑποκειμένου καὶ τοὔνομα, Or s’agissant des substances secondes, même leur formule est imputable à leur sujet, tout comme leur nom, 
— τὸν γὰρ τοῦ ἀνθρώπου λόγον κατὰ τοῦ τινὸς ἀνθρώπου κατηγορήσεις καὶ τὸν τοῦ ζῴου. car on peut imputer la formule de l’homme à un certain homme, ainsi que celle de l’animal[25].
— Ὥστε οὐκ ἂν εἴη οὐσία τῶν ἐν ὑποκειμένῳ.  Par conséquent, on ne peut compter la substance parmi les choses inhérentes à un sujet.
§ 13. — Οὐκ ἴδιον δὲ οὐσίας τοῦτο, Cependant, ce trait n’est pas propre à la substance. 
ἀλλὰ καὶ ἡ διαφορὰ τῶν μὴ ἐν ὑποκειμένῳ ἐστίν· Au contraire, la différence, elle aussi, compte parmi les choses non inhérentes à un sujet[26].
τὸ γὰρ πεζὸν καὶ τὸ δίπουν καθ´ ὑποκειμένου μὲν λέγεται τοῦ ἀνθρώπου, ἐν ὑποκειμένῳ δὲ οὐκ ἔστιν, —οὐ γὰρ ἐν τῷ ἀνθρώπῳ ἐστὶ τὸ δίπουν οὐδὲ τὸ πεζόν .Le terrestre, en effet, et le bipède se disent bien d’un sujet, l’homme, mais ne sont pas inhérents à un sujet, car le bipède n’est pas inhérent à l’homme, ni le terrestre[27].
— Καὶ ὁ λόγος δὲ κατηγορεῖται ὁ τῆς διαφορᾶς καθ´ οὗ ἂν λέγηται ἡ διαφορά· Par ailleurs, même la formule qui exprime la différence est imputable à ce sujet duquel se dit éventuellement la différence. 
οἷον εἰ τὸ πεζὸν κατὰ ἀνθρώπου λέγεται, καὶ ὁ λόγος τοῦ πεζοῦ κατηγορηθήσεται τοῦ ἀνθρώπου, —πεζὸν γάρ ἐστιν ὁ ἄνθρωπος. Ainsi, si le terrestre se dit de l’homme, la formule qui exprime le terrestre devra aussi être imputée à l’homme, puisque l’homme est un être terrestre[28].
§ 14. — Μὴ ταραττέτω δὲ ἡμᾶς τὰ μέρη τῶν οὐσιῶν ὡς ἐν ὑποκειμένοις ὄντα τοῖς ὅλοις, Par ailleurs, il ne faut pas nous inquiéter des parties des substances qui prennent place, comme en des sujets, dans le tout qu’elles constituent. 
μή ποτε ἀναγκασθῶμεν οὐκ οὐσίας αὐτὰ φάσκειν εἶναι·  Il n’y a pas à redouter de nous voir contraints de nier qu’elles soient des substances,  
οὐ γὰρ οὕτω τὰ ἐν ὑποκειμένῳ ἐλέγετο τὰ ὡς μέρη ὑπάρχοντα ἔν τινι. car ce n’est pas de cette façon-là qu’on parlait des choses qui prennent place dans un sujet, c’est-à-dire de celles qui sont, à titre de parties, en quelque chose[29].
§ 15. Ὑπάρχει δὲ ταῖς οὐσίαις καὶ ταῖς διαφοραῖς τὸ πάντα συνωνύμως ἀπ´ αὐτῶν λέγεσθαι· Il appartient d’autre part aux substances et aux différences de toujours donner lieu à des attributions qui s’entendent de façon univoque, 
πᾶσαι γὰρ αἱ ἀπὸ τούτων κατηγορίαι ἤτοι κατὰ τῶν ἀτόμων κατηγοροῦνται ἢ κατὰ τῶν εἰδῶν. car toutes les imputations qui se font à partir d’elles s’appliquent soit aux individus, soit aux espèces[30].
Ἀπὸ μὲν γὰρ τῆς πρώτης οὐσίας οὐδεμία ἐστὶ κατηγορία, —κατ´ οὐδενὸς γὰρ ὑποκειμένου λέγεται·— τῶν δὲ δευτέρων οὐσιῶν τὸ μὲν εἶδος κατὰ τοῦ ἀτόμου κατηγορεῖται, τὸ δὲ γένος καὶ κατὰ τοῦ εἴδους καὶ κατὰ τοῦ ἀτόμου·  En effet, si pour sa part, la substance première ne donne lieu à aucune imputation, puisqu’elle ne se dit d’aucun sujet[31], en revanche, parmi les substances secondes, l’espèce est imputable à l’individu et le genre, à l’espèce et à l’individu[32]
<IVA> ὡσαύτως δὲ καὶ αἱ διαφοραὶ καὶ κατὰ τῶν εἰδῶν καὶ κατὰ τῶν ἀτόμων κατηγοροῦνται.  De la même façon, les différences aussi, de leur côté, sont imputables et aux espèces et aux individus[33].
Καὶ τὸν λόγον δὲ ἐπιδέχονται αἱ πρῶται οὐσίαι τὸν τῶν εἰδῶν καὶ τὸν τῶν γενῶν, καὶ τὸ εἶδος δὲ τὸν τοῦ γένους.  Or leur formule également est applicable : les substances premières reçoivent celle des espèces et celle des genres, et l’espèce, celle du genre. 
—Ὅσα γὰρ κατὰ τοῦ κατηγορουμένου λέγεται, καὶ κατὰ τοῦ ὑποκειμένου ῥηθήσεται·— En effet, tout ce qui se dit de la chose imputée, tout cela doit aussi se dire du sujet[34].
ὡσαύτως δὲ καὶ τὸν τῶν διαφορῶν λόγον ἐπιδέχεται τά τε εἴδη καὶ τὰ ἄτομα· De la même façon, de son côté, la formule des différences, elle aussi, est applicable à la fois aux espèces et aux individus[35].
συνώνυμα δέ γε ἦν ὧν καὶ τοὔνομα κοινὸν καὶ ὁ λόγος ὁ αὐτός. Or, précisément, étaient univoques les choses dont le nom est commun et la formule identique[36].
Ὥστε πάντα τὰ ἀπὸ τῶν οὐσιῶν καὶ τῶν διαφορῶν συνωνύμως λέγεται. Par conséquent, tous les attributs qui se tirent des substances et ceux qui se tirent des différences s’entendent de façon univoque[37].
§ 16. Πᾶσα δὲ οὐσία δοκεῖ τόδε τι σημαίνειν. Par ailleurs, toute substance passe pour indiquer quelque chose de précis[38].
Ἐπὶ μὲν οὖν τῶν πρώτων οὐσιῶνἀναμφισβήτητον καὶ ἀληθές ἐστιν ὅτι τόδετι σημαίνει· ἄτομον γὰρ καὶ ἓν ἀριθμῷ τὸδηλούμενόν ἐστιν.  Dans le cas des substances premières, certes, il est incontestablement vrai qu’elles indiquent quelque chose de précis, puisque c’est un être individuel et numériquement un qu’elles donnent à voir[39].
Ἐπὶ δὲ τῶν δευτέρων οὐσιῶν φαίνεται μὲνὁμοίως τῷ σχήματι τῆς προσηγορίας τόδε τισημαίνειν, ὅταν εἴπῃ ἄνθρωπον ἢ ζῷον·Dans le cas des substances secondes, cependant, on a l’impression certes que c’est la même chose et que, vu la figure de l’appellation, on indique quelque chose de précis lorsqu’on parle de l’homme ou de l’animal[40].
οὐ μὴν ἀληθές γε, Et pourtant, ce n’est pas vrai ! 
ἀλλὰ μᾶλλον ποιόν τι σημαίνει, Au contraire, on indique plutôt une certaine qualité. 
— οὐ γὰρ ἕν ἐστι τὸ ὑποκείμενον ὥσπερ ἡ πρώτη οὐσία, En effet, le sujet n’est pas unique, comme l’est la substance première ; 
ἀλλὰ κατὰ πολλῶν ὁ ἄνθρωπος λέγεται καὶ τὸ ζῷον· c’est au contraire d’une multiplicité que se dit l’homme, ainsi que l’animal[41].
§ 17. — οὐχ ἁπλῶς δὲ ποιόν τι σημαίνει, ὥσπερ τὸ λευκόν· Néanmoins, cela n’indique pas simplement une certaine qualité comme le fait le blanc. 
οὐδὲν γὰρ ἄλλο σημαίνει τὸ λευκὸν ἀλλ´ ἢποιόν, τὸ δὲ εἶδος καὶ τὸ γένος περὶ οὐσίαντὸ ποιὸν ἀφορίζει·Car le blanc n’indique absolument rien d’autre qu’une qualité, tandis que l’espèce et le genre déterminent la qualité que met en jeu la présence (présence (substance)).  
ποιὰν γάρ τινα οὐσίαν σημαίνει· Elle indique, en effet, une certaine qualité de présence (substance)[42].
ἐπὶ πλεῖον δὲ τῷ γένει ἢ τῷ εἴδει τὸνἀφορισμὸν ποιεῖται·Et la détermination produite a une extension plus large avec le genre qu’avec l’espèce. 
ὁ γὰρ ζῷον εἰπὼν ἐπὶ πλεῖον περιλαμβάνει ἢὁ τὸν ἄνθρωπον. En effet, qui dit animal embrasse plus que celui qui dit homme[43].
§ 18. Ὑπάρχει δὲ ταῖς οὐσίαις καὶ τὸ μηδὲναὐταῖς ἐναντίον εἶναι. Par ailleurs, il appartient encore aux présences (substances) de n’avoir aucun contraire[44].
Τῇ γὰρ πρώτῃ οὐσίᾳ τί ἂν εἴη ἐναντίον;Que serait, en effet, le contraire de la présence (substance) première ? 
οἷον τῷ τινὶ ἀνθρώπῳ οὐδέν ἐστιν ἐναντίον, Ainsi, cet homme n’a aucun contraire. 
οὐδέ γε τῷ ἀνθρώπῳ ἢ τῷ ζῴῳ οὐδέν ἐστινἐναντίον. Et pour sûr, l’homme non plus ou l’animal n’ont le moindre contraire. 
§ 19. Οὐκ ἴδιον δὲ τῆς οὐσίας τοῦτο, ἀλλὰκαὶ ἐπ´ ἄλλων πολλῶνCependant, ce trait n’est pas propre à la présence (substance)[45], mais se rencontre aussi dans beaucoup d’autres cas.  
οἷον ἐπὶ τοῦ ποσοῦ· Ainsi dans le cas de la quantité. 
τῷ γὰρ διπήχει οὐδέν ἐστιν ἐναντίον, οὐδὲτοῖς δέκα, οὐδὲ τῶν τοιούτων οὐδενί, εἰ μήτις τὸ πολὺ τῷ ὀλίγῳ φαίη ἐναντίον εἶναι ἢτὸ μέγα τῷ μικρῷ·La dimension de deux coudées, en effet, n’a pas le moindre contraire, ni la dizaine, ni rien de ce genre, sauf à prétendre que beaucoup est le contraire de peu ou grand de petit.  
τῶν δὲ ἀφωρισμένων ποσῶν οὐδὲν οὐδενὶἐναντίον ἐστίν. Mais, parmi les quantités déterminées, rien n’est le contraire de rien[46].
§ 20. Δοκεῖ δὲ ἡ οὐσία οὐκ ἐπιδέχεσθαι τὸμᾶλλον καὶ τὸ ἧττον·Il semble, par ailleurs, que la présence (substance) ne soit pas susceptible du plus et du moins[47].
λέγω δὲ οὐχ ὅτι οὐσία οὐσίας οὐκ ἔστιμᾶλλον οὐσία, (τοῦτο μὲν γὰρ εἴρηται ὅτιἔστιν), ἀλλ´ ὅτι ἑκάστη οὐσία τοῦθ´ ὅπερἐστὶν οὐ λέγεται μᾶλλον καὶ ἧττον·Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de présence (substance) plus présence qu’une autre (car, on l’a vu, c’est le cas)[48], mais bien qu’une présence, quelle qu’elle soit, n’est pas dite plus ou moins ce qu’elle est[49].
οἷον εἰ ἔστιν αὕτη ἡ οὐσία ἄνθρωπος, οὐκἔσται μᾶλλον καὶ ἧττον ἄνθρωπος, οὔτεαὐτὸς ἑαυτοῦ οὔτε ἕτερος ἑτέρου·Ainsi, supposé que la présence soit un homme, il ne sera pas plus ou moins homme, ni par comparaison avec lui-même, ni par comparaison avec un autre[50].
οὐ γάρ ἐστιν ἕτερος ἑτέρου μᾶλλονἄνθρωπος, ὥσπερ <4α> τὸ λευκόν ἐστινἕτερον ἑτέρου μᾶλλον λευκόν, καὶ καλὸνἕτερον ἑτέρου μᾶλλον·En effet, l’un n’est pas plus homme que l’autre, à la manière du blanc, qui est plus blanc d’un cas à l’autre, et du beau, qui est plus beau d’un cas à l’autre. 
καὶ αὐτὸ δὲ ἑαυτοῦ μᾶλλον καὶ ἧττονλέγεται,Certes, par comparaison avec lui-même, on le dit aussi plus ou moins ceci ou cela :
οἷον τὸ σῶμα λευκὸν ὂν μᾶλλον λευκὸνλέγεται νῦν ἢ πρότερον, καὶ θερμὸν ὂνμᾶλλον θερμὸν καὶ ἧττον λέγεται·ainsi le corps, s’il est blanc, on le dit plus blanc maintenant qu’auparavant et, s’il est chaud, on le dit plus et moins chaud.
ἡ δέ γε οὐσία οὐδὲν λέγεται,Mais la présence, en tout cas, on ne la dit nullement plus ou moins.
οὐδε γἂρ ἄνθρωπος μᾶλλον νῦν ἄνθρωπος ἢπρότερον λέγεται, οὐδε τῶν ἄλλων οὐδέν, ὅσα ἐστὶν οὐσία· Car un homme, on ne le dit pas plus homme maintenant qu’auparavant, non plus qu’aucune de toutes les autres choses dès lors qu’il s’agit d’une présence[51].
ὥστε οὐκ ἂν ἐπιδέχοιτο ἡ οὐσία τὸ μᾶλλονκαὶ ἧττον.Par conséquent, la présence ne peut être susceptible du plus et du moins.
§ 21. Μάλιστα δὲ ἴδιον τῆς οὐσίας δοκεῖεἶναι τὸ ταὐτὸν καὶ ἓν ἀριθμῷ ὂν τῶνἐναντίων εἶναι δεκτικόν·Mais ce qui est surtout propre à la présence, semble- t-il, c’est que, tout en étant la même et une numériquement, elle est capable de recevoir les contraires[52].
οἷον ἐπὶ μὲν τῶν ἄλλων οὐδενὸς ἂν ἔχοι τιςπροενεγκεῖν <ὅσα μή ἐστιν οὐσία>, ὃ ἓνἀριθμῷ ὂν τῶν ἐναντίων δεκτικόν ἐστιν·Ainsi, pour le reste, ne peut-on mettre de l’avant, parmi tout ce qui n’est pas présence, la moindre chose qui, étant numériquement une, soit capable de recevoir les contraires. 
οἷον τὸ χρῶμα, ὅ ἐστιν ἓν καὶ ταὐτὸνἀριθμῷ, οὐκ ἔσται λευκὸν καὶ μέλαν, οὐδὲ ἡαὐτὴ πρᾶξις καὶ μία τῷ ἀριθμῷ οὐκ ἔσταιφαύλη καὶ σπουδαία, Ainsi, la couleur, si elle est une et la même numériquement, ne sera pas noire et blanche, pas plus que la même action, numériquement une, ne sera vilaine et excellente. 
ὡσαύτως δὲ καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων, ὅσα μήἐστιν οὐσία. Et il en va encore de même dans tous les autres cas qui ne sont pas des présences[53].
Ἡ δέ γε οὐσία ἓν καὶ ταὐτὸν ἀριθμῷ ὂνδεκτικὸν τῶν ἐναντίων ἐστίν·Mais, pour sa part, la présence, en étant une et la même numériquement, peut recevoir les contraires. 
οἷον ὁ τὶς ἄνθρωπος, εἷς καὶ ὁ αὐτὸς ὤν, ὁτὲμὲν λευκὸς ὁτὲ δὲ μέλας γίγνεται, καὶθερμὸς καὶ ψυχρός, καὶ φαῦλος καὶσπουδαῖος. Ainsi, cet homme, qui est un et le même, devient tantôt blanc, tantôt noir, chaud et froid, vilain et excellent[54].
§ 22. Ἐπὶ δὲ τῶν ἄλλων οὐδενὸς φαίνεται τὸτοιοῦτον, εἰ μή τις ἐνίσταιτο τὸν λόγον καὶτὴν δόξαν φάσκων τῶν τοιούτων εἶναι·Certes, en aucun des autres cas n’apparaît une chose de ce genre : sauf, objectera-t-on, qu’on peut prétendre que le discours et l’opinion sont capables de recevoir des choses de ce genre[55].
ὁ γὰρ αὐτὸς λόγος ἀληθής τε καὶ ψευδὴςεἶναι δοκεῖ, Le même discours, en effet, passe pour être à la fois vrai et faux. 
οἷον εἰ ἀληθὴς εἴη ὁ λόγος τὸ καθῆσθαίτινα, ἀναστάντος αὐτοῦ ὁ αὐτὸς οὗτοςψευδὴς ἔσται·Si, par exemple, est vrai le discours affirmant que quelqu’un est assis, quand celui-ci s’est levé, ce même discours sera faux. 
ὡσαύτως δὲ καὶ ἐπὶ τῆς δόξης· εἰ γάρ τιςἀληθῶς δοξάζοι τὸ καθῆσθαί τινα, ἀναστάντος αὐτοῦ ψευδῶς δοξάσει τὴναὐτὴν ἔχων περὶ αὐτοῦ δόξαν. Et il en va encore de même de l’opinion, car si l’on a l’opinion vraie que quelqu’un est assis, quand celui-ci s’est levé, on aura une fausse opinion si l’on garde la même opinion à son propos[56].
§ 23. Εἰ δέ τις καὶ τοῦτο παραδέχοιτο, ἀλλὰτῷ γε τρόπῳ διαφέρει·Toutefois, si même on veut admettre l’objection, malgré tout, il y a une différence quant à la manière de recevoir les contraires. 
τὰ μὲν γὰρ ἐπὶ τῶν οὐσιῶν αὐτὰμεταβάλλοντα δεκτικὰ τῶν ἐναντίων ἐστίν,  Dans le cas des présences, en effet, c’est parce qu’elles sont elles-mêmes changeantes, que ces réalités sont en mesure de recevoir les contraires. 
— ψυχρὸν γὰρ ἐκ θερμοῦ γενόμενονμετέβαλεν (ἠλλοίωται γάρ), καὶ μέλαν ἐκλευκοῦ καὶ σπουδαῖον ἐκ φαύλου, En effet, passée du chaud au froid, une chose a changé (elle est altérée) ; de même, passée du blanc au noir ou de vilaine à excellente.  
ὡσαύτως δὲ καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων ἕκαστοναὐτὸ μεταβολὴν δεχόμενον τῶν ἐναντίωνδεκτικόν ἐστιν·Et de même encore dans les autres cas : c’est parce que chacune est elle-même susceptible de changement qu’elle est en mesure de recevoir les contraires. 
— ὁ δὲ λόγος καὶ ἡ δόξα αὐτὰ μὲν ἀκίνηταπάντῃ πάντως διαμένει, En revanche, le discours et l’opinion restent eux-mêmes tout à fait immuables en tout point[57].
τοῦ δὲ πράγματος κινουμένου τὸ ἐναντίονπερὶ αὐτὰ γίγνεται· Mais, vu que change l’état de choses qu’ils concernent, le contraire se produit dans leur cas. 
ὁ μὲν γὰρ λόγος διαμένει ὁ αὐτὸς τὸκαθῆσθαί τινα, Le discours, en effet, reste en permanence le même : il affirme que quelqu’un est assis.
τοῦ δὲ πράγματος <4b> κινηθέντος ὁτὲ μὲνἀληθὴς ὁτὲ δὲ ψευδὴς γίγνεται·4b Mais vu que cet état s’est modifié, il est dit tantôt vrai, tantôt faux. 
ὡσαύτως δὲ καὶ ἐπὶ τῆς δόξης. Et il en va encore de même de l’opinion[58].
Ὥστε τῷ τρόπῳ γε ἴδιον ἂν εἴη τῆς οὐσίαςτὸ κατὰ τὴν αὑτῆς μεταβολὴν δεκτικὴν τῶνἐναντίων εἶναι, Par conséquent, quant à la manière de recevoir les contraires, le propre de la présence sera de pouvoir les recevoir en vertu de son propre changement. 
— εἰ δή τις καὶ ταῦτα παραδέχοιτο, τὴνδόξαν καὶ τὸν λόγον δεκτικὰ τῶν ἐναντίωνεἶναι. Si donc on veut l’admettre, même l’opinion et le discours sont capables de recevoir les contraires. 
§ 24. Οὐκ ἔστι δὲ ἀληθὲς τοῦτο·Mais il n’y a pas lieu de croire que c’est vrai. 
ὁ γὰρ λόγος καὶ ἡ δόξα οὐ τῷ αὐτὰ δέχεσθαίτι τῶν ἐναντίων εἶναι δεκτικὰ λέγεται, ἀλλὰτῷ περὶ ἕτερόν τι τὸ πάθος γεγενῆσθαι·Car si le discours et l’opinion sont dits capables de recevoir les contraires, ce n’est pas parce qu’eux-mêmes reçoivent quelque chose, mais parce que quelque autre chose se trouve avoir subi l’affection. 
— τῷ γὰρ τὸ πρᾶγμα εἶναι ἢ μὴ εἶναι, τούτῳκαὶ ὁ λόγος ἀληθὴς ἢ ψευδὴς εἶναι λέγεται, οὐ τῷ αὐτὸν δεκτικὸν εἶναι τῶν ἐναντίων·C’est, en effet, parce que l’état de choses qu’il concerne existe ou n’existe pas, que le discours est également déclaré être vrai ou faux, non parce qu’il est lui-même capable de recevoir les contraires. 
ἁπλῶς γὰρ οὐδὲν ὑπ´ οὐδενὸς οὔτε ὁ λόγοςκινεῖται οὔτε ἡ δόξα, Car il n’y a tout simplement rien qui, en quoi que ce soit, modifie le discours ni l’opinion.  
ὥστε οὐκ ἂν εἴη δεκτικὰ τῶν ἐναντίωνμηδενὸς ἐν αὐτοῖς γιγνομένου·—  Par conséquent, ils ne pourraient être capables de recevoir les contraires, dès lors qu’en eux ne se produit aucune affection[59].
ἡ δέ γε οὐσία τῷ αὐτὴν τὰ ἐναντία δέχεσθαι, τούτῳ δεκτικὴ τῶν ἐναντίων λέγεται·En revanche, la présence, pour sa part, c’est parce qu’elle-même reçoit les contraires qu’elle est dite capable de recevoir les contraires. 
νόσον γὰρ καὶ ὑγίειαν δέχεται, καὶλευκότητα καὶ μελανίαν, καὶ ἕκαστον τῶντοιούτων αὐτὴ δεχομένη τῶν ἐναντίων εἶναιδεκτικὴ λέγεται. Elle reçoit, en effet, maladie et santé, blancheur et noirceur et, recevant elle-même chacune des choses de ce genre, elle est dite capable de recevoir les contraires. 
§ 25. Ὥστε ἴδιον ἂν οὐσίας εἴη τὸ ταὐτὸνκαὶ ἓν ἀριθμῷ ὂν δεκτικὸν εἶναι τῶνἐναντίων.Par conséquent, ce qui sera propre à la sub- stance, c’est que, tout en étant la même et une numériquement, elle peut, en vertu de son propre changement, recevoir les contraires.
§ 26. Περὶ μὲν οὖν οὐσίας τοσαῦτα εἰρήσθω.Touchant la présence, on s’en tiendra là.

[1] On a beaucoup glosé, dès l’Antiquité, sur les mots ἡ κυριώτατά τε καὶ πρώτως καὶ μάλιστα λεγομένγ, qui, avec des nuances à peine perceptibles selon les adverbes, soulignent au fond la même chose : il y a très évidemment une sorte d’être que le langage courant lui-même privilégie à titre de substance. L’évidence à laquelle s’attache à cet égard l’opinion est indiquée en Mét., Z 2, 1028 b 8-9 (δοκεῖ δ’ ἡ οὐσιά ὑπάρχειν φανερώτατα μὲν τοῖσσώμασιν). Le consensus de l’opinion est relevé en H 1, 1042 a 7-8 ([οὐσιαι] ὑπαρχειν φανερώτατα μὲν αἱ φυσικαί…). Ici, se trouve noté que dans le langage, c’est fondamentalement et prioritairement ce genre d’être qui est appelé sub- stance. C’est aussi la première sorte de chose qu’enregistre à titre de substance Mét, Δ 8, 1017 b 10 et sqq. Tous ces textes de la Métaphysique (qui font état de corps et de vivants corporels) sont en parfaite harmonie avec la présente affirmation, puisqu”ils se réfèrent tous à une même donnée, si l’on peut dire, « phénoménale ».

[2] Sont en cause les réalités dèjà répertoriées en 1 b 3-5 (les exemples sont d’ailleurs les mêmes). La primauté de la substance individuelle et particulière, décrite ici de façon négative (μήτε… μήτε), tient au fait qu’elle est positivement le sujet ultime dans l’ordre substantiel (cf. Mét., Δ 8, 1017b 23-24 : τὸ… ὑποκείμενον ἔκχατον, ὃ μηκέτι κατ’ ἄλλοθ λέγεται) et le sujet premier que supposent néces- sairement les êtres non substantiels (cf. Mét., Z 3, 1029 a 1-2 μάλιστα γὰρ δοκεῖ εἶνια οὐσία τὸ ὑποκείμενον πρῶτον et Z 1, 1028 a 26-27 : ἔστι τι τὸ ὑποκεἰμενον αὐτοῖς [les êtres non substantiels] ὡρισμένον, τοῦτο δ’ εστὶν ἡ οὐσία καὶ τὸ καθ’ ἕκαστον). Cette primauté absolue souvent affirmée par Aristote (cf. Mét., A 6, 1071 b 5 :αἴ τε γὰρ οὐσίαι πρῶται τῶν ὅντων) sera exposée en détail dans la suite (2 a 34 et sqq.). Mais, comme on peut le voir, elle est reconnue comme un fait par la Métaphysique. Ce dernier ouvrage, toutefois, pose un certain nombre de questions auxquelles notre traité est étranger : « Qu’est-ce que la substance ? » (Z 1, 1028 b 7) ou encore « Quels sont les principes et les causes des substances ? » (A 1, 1069 a 18-19). La première de ces questions, qui est au départ de l’enquête des livres centraux, conduit à s’interroger sur la nature du sujet substantiel dont il est ici question (un composé de matière et forme) et à défendre la thèse que la forme est première par rapport à la matière et première par rapport au composé (cf. Z 3, 1029 a 5-7). Ainsi, la forme de chaque être substantiel est-elle substance première, c’est-à-dire ce en quoi consiste essentiellement chaque être substantiel (cf. Z 7, 1032 b 1-2 : εἶδος δὲ λέγω τὸ τί ἦν εἶναι ἑκάστοθ καὶ τὴν πρώτην οὐσίαν). Aristote écrit encore : « de la substance prise avec sa matière, il n’y a pas de définition, car le composé est indéterminé, mais eu égard à sa substance première. il y en a une, … car la substance est la forme immanente qui, avec la matière, forme le tout appelé sub- stance » (Z l l, 1037 a 26-30). De son côté, la recherche des principes des substances, que présente le livre A, conduit à se demander si en dehors des substances sensibles particulières reconnues par tout le monde (cf. A 1, 1069 a 30-32), il n’y en a pas d’autres, comme le pré- tendent certains. La démonstration qu’il en existe d’autres, formes immatérielles ou purs actes dont dépend la nature entière (A 6-9), entraîne évidemment le philosophe, qui défend la priorité de lacte sur la puissance, à parler de celles-ci comme des substances premières (cf. De l’interpr., 13, 23 a 23-24 : τὰ μὲν ἄνευ δυνάμεως ἐνέργειαί εἰσιν, οἷον αἱ πρῶται οὐσίαι). Malgré ce qu’ont pu penser certains commentateurs, toutes ces affirmations ne sont pas contradictoires et ne supposent pas une « évolution » dans la conception que se serait faite le philosophe de la substance première. Elles montrent, au contraire, que l’expression « substance première » a, selon les contextes, des significations différentes. Elle peut désigner la sub- stance immatérielle par rapport à la substance naturelle ou sensible, en vertu de la pnorité de l’acte sur la puissance ; elle peut désigner aussi la forme constitutive de la substance sensible par rapport à la matière qui lui est associée et par rapport au composé lui-même, en raison de la priorité du principe formel déterminant sur le principe matériel indéterminé ; enfin, elle peut désigner, comme dans notre passage, la sub- stance individuelle particulière par rapport à son espèce et à son genre, en raison de la priorité du sujet sur ce qui se dit du sujet. Et ces usages sont compatibles, même si C ne parle pas de matière ni de forme. Dans notre passage où la substance première est, par exemple, un certain homme, le sujet individuel est évidemment le sujet composé, dont l’auteur n’indique pas qu’il est fait de matière (corps) et de forme (âme). lgnore-t-il pour autant que le sujet premier, identifié communé- ment à la substance, s’entend non seulement du composé, mais aussi de la matière et de la forme (cf. Mét, Z 3, 1029 a 1-3) ? Il paraît évi- dent que non, puisque l’âme (en 1 a 25) et le corps (en 1 a 28) sont donnés pour les sujets substantiels auxquels sont inhérentes, respecti- vement, telle science des lettres et telle blancheur. Et s’il ne parle pas du corps comme d’une matière, ni de l’âme comme d’une forme, c’est que l’auteur de C, contrairement à l’auteur de la Métaphysique, ne s’interroge pas sur la nature de la substance ni, par conséquent, sur l’importance relative de ses principes constitutifs et que, de ce fait, il n’entreprend pas ici d’exposer une théone scientifique de la substance.

[3] Sont cette fois en cause les réalités spécifiques déjà répertoriées en 1 a 20-22 et, en vertu de la règle énoncée en 1 b 10-15, les réalités génériques qui se disent des premières comme d’un sujet. Bien que le texte ne le dise pas explicitement, ce sont donc des « généralités » ou, si l’on veut, des « universels » (καθόλου). Or, la Métaphysique semble refuser à une généralité, quelle qu’elle soit, le titre de substance (Z 13, 1038 b 8-9 : ἔοικε γὰρἀδύνατον εἶναι), notamment à l’aide de l’argument qui rappelle notre texte : « est substance ce qui ne se dit pas d’un sujet ; or le général se dit toujours d’un certain sujet » (1038 b 15-16). Beaucoup de commentateurs pensent que la Métaphysique exprime ainsi un repentir et corrige la thèse défendue dans notre passage, selon laquelle l’espèce et le genre sont des substances, bien qu’à titre second. Mais cette impression, si l’on observe les textes de près, paraît fallacieuse. L’auteur de Z, on l’a vu (cf. note précédente), s’interroge sur la nature de la substance, donc sur ses principes constitutifs. L’hypothèse qu’il envisage dans cette perspective est celle des Platoniciens qui, à la dif- férence du commun, situent la substance dans l’universel plutôt que dans le particulier et font des universels les « principes » (ἀρχάς) des choses particulières (cf. A 1, 1069 a 26-29). Cette opinion revient à dire que l’universel est « substance de chaque chose individuelle » (Z 3, 1028 b 34-35 τὸ καθόλου… οὐσία δοκεῖ εἰναι ἑκάστου), autre- ment dit que « l’universel est principe » (Z 13, 1038 b 7-8 : δοκεῖ … εἶναι ἀρχὴ τὸ καθόλου). Il n’est donc pas question là de savoir si l’universel peut être appelé substance à titre second par rapport à l’individuel qui est substance première. La question est de savmr si, comme le veulent les Platoniciens, il peut être le principe de chaque individu où communément on voit la substance première. La réponse est “non” et elle est conforme à la position que défend personnellement Aristote : « d’abord parce que la substance de chaque individu, laquelle est une chose propre à chaque individu, n’appartient pas à un autre, alors que l’universel est chose commune, puisqu’on appelle uni- versel ce 9ui naturellement appartient à plusieurs choses » (Z 3, 1038 b 9-12). Etranger à la question de savoir si l’universel est principe, l’auteur de C, pour sa part, n’envisage donc pas que le genre et l’espèce, qu’il appelle substances, seraient, à ce titre, des principes ; si c’était le cas et que substance fût synonyme, à ses yeux, de principe, il énoncerait alors l’absurdité que l’universel est principe second du prin- cipe premier ! Si l’universel est pour lui substance seconde, ce n’est donc pas à titre de principe et la prétendue contradiction avec ce qu’affirme Z disparaît du même coup. Mais il y a plus. En affirmant ensuite (2 a 34 et sqq.) que la substance première individuelle est ce sans quoi n’existerait pas la substance seconde, l’auteur de C exclut par avance l’éventualité qu’on puisse trouver dans l’universel le prin cipe de l’individuel. C’est donc sur la base des rapports ici posés entre substance première et substance seconde que Z, à la recherche du prin- cipe constitutif des substances premières, refuse en définitive l’hypo- thèse platonicienne.

[4] Cela revient à dire, en bref, que l’individu, en soi indéfinissable, possède la définition de l’espèce et que !’espèce se définit par le genre. La thèse explicite le rapport entre substance première et substance seconde, dont il vient d’être question, à l’aide des éléments qui ont servi plus haut à présenter les univoques (1 a 6-7) : le sujet premier que constitue la substance première porte le nom et répond à la for- mule définitionnelle de son espèce. La même thèse, notons-le, vaudrait pour les réalités individuelles de nature non substantielle (par exemple, un certain blanc) par rapport à leur espèce (par exemple, le blanc) et même pour des réalités spécifiques de nature non substantielle (par exemple, la science des lettres) par rapport à leur genre (la science), parce que la science « se dit d’un sujet, la science des lettres » (1 b 23).

[5] Quelle est cette majorité de réalités non substantielles, dont même le nom ne s’attribue pas au sujet substantiel ? Il semble que ce soit, par exemple, celles que désignent linguistiquement des substantifs (par exemple, la science, inhérente à l’âme [ou à l’homme], ne se dit pas de l’âme [ou de l’homme] ; l’âme, au contraire, est dite savante [ou l’homme savant] ; c’est donc un « dérivé »,au sens de 1 a 12-15, qui lui est attribué), à la différence, notamment, des expressions adjec- tives. Mais toutes les réalités désignées par un substantif ne sont pas dans dans ce cas : l’esclave, par exemple, qui est un relatif, a un nom qui s’attribue à l’homme. Peut-être l’auteur, qui parle de « grande majorité », songe-t-il aux attributs exprimés par un verbe conjugué (!’homme court, équivalent de l’homme est courant), car ces phrases sont les plus fréquentes et la forme conjuguée n’est pas celle du participe ou de l’infinitif qui conviennent proprement à la réalité attribuée.

[6] L’exemple de l’esclave (cf. n. précédente) eût été mieux choisi, car ce n’est pas le blanc qui constitue la qualité inhérente mais plutôt la blancheur. Par ailleurs, en écnvant que le blanc « est imputé » (κατηγορεῖται) au sujet, l’auteur assimile l’imputation à une simple prédication. Enfin, ici comme plus haut (1a 28), c’est le corps, plutôt que l’individu corporel (animé ou inanimé) qui est donné pour sujet d’inhérence au blanc, avec l’idée que le blanc n’existe pas sans corps, bien qu’il soit lui-même « incorporel » (cf. Top., VI, 12, 149 b 1). Dans la « formule » du blanc entre en effet la couleur (son genre) ; or jamais le corps n’est dit une couleur.

[7]  La primauté des individus substantiels comme sujets dont se disent ultimement leur espèce et leur genre, et auxquels sont ultimement inhérentes toutes les réalités non substantielles, fait de ces individus la condition de tout ce qui en dehors d’eux existe, du moins dans le monde naturel périssable. Le propos de l’auteur de C est en effet implicitement borné aux substances naturelles périssables, les seules qui appartiennent à des espèces, elles-mêmes appartenant à des genres. Les corps célestes impérissables, inaltérables, exempts d’accroisse- ment et de diminution (cf. Du ciel, I, 3) forment peut-être, à tout prendre, un genre singulier, mais ils ne peuvent compter parmi les sub- stances ici considérées, dont il sera dit plus loin qu’elles sont suscep- tibles de contraires (4 a 10). Quant à l’existence de substances incorporelles séparées, elle n’est pas du tout envisagée. Dans les limites du monde naturel périssable, le primat absolu de !’individu substantiel, comme l’ont volontiers observé les commentateurs, implique évidem ment l’affirmation d’une thèse inconciliable avec le platonisme. C’est l’occasion de noter que C, par ailleurs, ne considère pas sous le nom d’εἶδος, la forme essentielle (par exemple, l’humanité de l’homme) qu’ont en commun plusieurs individus, mais l’espèce (l’humanité) qui réunit les individus ayant une forme commune et un nom commun.

[8] Les deux exemples illustrent la même thèse : sans les substances premières, rien n’existe. L’un (A) cependant est emprunté aux êtres qui « se disent d’un sujet » ou « sont imputables à un sujet » et !’autre (B) aux êtres qui « sont inhérents à un sujet ». A. Le premier permet de généraliser de la manière suivante : les genres qui ne seraient imputables à aucun individu ne seraient imputables à aucune espèce. Pour voir là une illustration de la thèse en cause, il faut comprendre : les genres qui ne sont imputables à aucune espèce, ne sont imputables à nen, donc ne sont pas des genres et n’existent pas. On pourrait en dire autant des espèces qui ne seraient imputables à aucun individu. L’idée est compréhensible, mais elle a une implication ; elle suppose qu’être imputable à un sujet ou se dire d’un sujet, c’est ne pouvoir exister sans sujet (individuel). Ce qui équivaut partiellement à « être inhérent à i;n sujet » (cf. 1 a 25 : ἀδύνατον χωρὶς εἶναι τοῦ ἐν ᾧ ἐστιν) ! Ce qui à son tour voudrait dire que les substances secondes ont quelque chose de non substantiel. B. Le second exemple fait appel précisément à une chose inhérente à un sujet qui, par définition en quelque sorte, ne peut exister à part d’un sujet. Il consiste à montrer que ce sujet, sans lequel le genre (la couleur) n’existerait pas, doit être un sujet particulier. Il revient à dire : tout genre non substantiel qui ne serait pas inhérent à un sujet particulier, au moins parmi ceux qui forment une généralité, ne serait inhérent à aucune généralité. Il faut sans doute comprendre : un tel genre ne serait inhérent à nen. Mais ici, il paraît difficile de conclure qu’un tel genre n’existerait pas, car n’être inhérent à aucun sujet ne signifie pas ne pas exister ; cela signifie plutôt : être une sub- stance (cf. 3 a 7-8 : κοινὸν δὲ κατὰ πάσης οὐσίας τὸ μὴ ἐν ὑποκειμένῳ εἶναι) ! Ce qui voudrait dire qu’un être non substantiel qui ne serait inhérent à aucune substance première, aurait en fait la pro- priété d’une substance.

[9] En envisageant l’opération qui consiste à expliquer« ce qu’est » (τί ἐστι) la substance première, l’auteur pense probablement à la ten- tative impossible de définir quelque substance individuelle que ce soit. Celle-ci, qui vise à fournir l’essence (τί ἐστι), doit se contenter d’identifier ce qui est le plus proche de l’individu concerné : l’espèce, plutôt que le genre. L’opération n’a rien à voir avec celle qui, dans d’autres contextes, consisterait à expliquer « ce qu”est » la substance première en général (cf. Mét., Z 1, 1028 b 7 : περὶ τοῦ οὕτως ὄντος θεωρητόν τί ἐστι). Il n’y a pas, dans C, rappelons-le, d’exposé d’une « théorie » de la substance en ce sens-là.

[10] « Propre » et « commun » doivent s’entendre ici de manière relative (ἴδιον μᾶλλον… κοινότερον), l’espèce ayant moins d’extension que le genre (cf. 3 b 21-23, avec les mêmes exemples). Car les deux, comme universels, sont communs et appartiennent à plusieurs choses : aucun n’est rigoureusement propre (cf. Mét, Z 13, 1038 b 10-11 ).

[11] Les plantes sont traitées sur le même plan, générique, que les animaux dans Mét., Z 2, 1028 b 9 et H 1, 1042 a 9-10. Dans Top., VI, 5, 143 a 26-28, en revanche, la plante et l’arbre sont traités respective- ment comme un genre supérieur et un genre inférieur.

[12] Cf. plus haut, 2 b 5-6.

[13] Cf. Top., IV, 1, 121 a 12-14 : «Les espèces participent des genres, mais les genres ne participent pas des espèces, car si l’espèce admet bel et bien la formule du genre, en revanche, le genre n’admet pas celle de l’espèce ». L’avantage de l’espèce sur le genre, comme celui de l’individu substantiel sur tout le reste, tient à ce que l’espèce n’est pas plus imputable au genre que l’individu n’est imputable à tout le reste, alors qu’elle reçoit la formule du geme, comme l’individu celle de l’espèce. Les deux arguments montrent ensemble que l’espèce s’attribue à un sujet qui ne s’attribue pas et qu’elle fait connaître plus proprement que le genre, lequel s’attribue à un sujet, lui-même attribué à un autre sujet. Les arguments sont évidemment solidaires. C’est parce qu’elle ajoute une différence spécifique à la formule du genre, que l’espèce fait mieux connaître l’individu. Le genre, en revanche, à défaut de cette différence, fait moins bien connaître l’individu. Il n’y a pas à confondre le caractère plus substantiel de l’espèce, dont il est question ici, avec ce qui sera dit plus loin (15 a 4-7) de la priorité du genre sur l’espèce, mais les deux choses sont liées : l’animal (le genre) est en un sens premier parce qu’il n’implique pas nécessairement l’homme (l’espèce) et dénote moins proprement l’individu humain, au fond, pour le même motif.

[14] En d’autres termes, puisque l’espèce prochaine est ce qui s’impute directement à l’individu, toutes les espèces sont également des imputations directes ; et, puisque tous les individus sont également des sujets premiers, ils ne peuvent !’être !’un plus que !’autre. Il importe de ne pas confondre les présentes remarques avec ce qui sera dit plus loin (3 b 33) de l’incapacité, pour la substance, d’admettre le plus et le moins.

[15] La thèse défendue dans ce passage, on !’a déjà observé plus haut (note ad 2 a 17), n’est pas du tout comparable à celle que défend Mét., Z 13. En bref, il s’agit là de nier que les universels, tels que le genre et l’espèce, puissent être pnncipes substantiels de chaque individu. Ici, il s’agit d’affirmer qu’ils sont les seules choses à être imputées essentiel- lement, donc à faire voir l’individu substantiel, toutes les autres prédi- cations étant accidentelles. L’auteur recourt à deux arguments fami- liers. Le premier (2 b 30-37) ressemble au premier argument avancé plus haut (2 b 8-14) pour justifier la supériorité de l’espèce sur le genre dans l’ordre substantiel, et le second (2 b 37-3 a 6) ressemble aussi au second argument présenté plus haut (2 b 15-22) en faveur de cette der- nière thèse.

[16] La distinction, appuyée par des exemples, reste assez vague. On nous dit que l’identification d’un individu substantiel par son espèce ou son genre est un moyen plus ou moins satisfaisant selon le cas, mais toujours « adéquat » (cf. οἰκείως : 2 b 33) et que tout autre moyen est réputé inapproprié, parce qu’il fournit une indication « étrangère » (cf. ἀλλοτρίως: 2 b 35) au sujet ultime qu’est la substance première. Dans la langue grecque, les adverbes antonymes olKEiroç et à/..À.o- îpiroç font image. Ils évoquent ce qui fait partie de la famille et ce qui lui est étranger ou extérieur. C’est comme si le genre et l’espèce imputés à une substance première formaient avec elle une famille et lui étaient apparentés, alors tout le reste sortirait de la famille. La distinc- tion correspond à ce qu’on trouve dans Top., 1, 9, 103 b 36-39 : « quand on affirme une chose d’elle-même ou qu’on en affirme le genre, on indique une essence (τί ἐστι) ; mais quand on affirme une chose d’une autre, on n’indique pas l’essence (τί ἐστι), mais une quan- tité, une qualité ou quelqu’une des autres imputations ». On voit ici que l’indication de l’essence (par l’espèce ou le genre) confine à l’affirmation de l’identité (on reste dans la famille), alors que l’indication d’autre chose (par quelque autre moyen) ressemble à l’affirmation de l’altérité (on sort de la famille). D’un côté, en effet, le lien est nécessaire, de l’autre, il est accidentel. Présentées ainsi cependant, les choses sont simplifiées, car la présentation évacue les cas d’imputation du « propre » et de la « différence » qui se situent entre deux (cf. Top., I, 8, en entier).

[17] Cf. plus haut, 2 b 5-6.

[18] L’argument revient en somme à dire que si la qualité de sub- stance première est reconnue à l’individu parce qu’il est le seul sujet auquel tout le reste est imputé, alors la qualité de substance seconde doit être reconnue à son genre et à son espèce seulement parce que, en dehors de la substance première, ils sont les seuls sujets auxquels tout le reste est imputé. C’est évidemment passer sous silence les cas où « par exemple, nous soutenons que le juste est musicien… et le musi- cien un homme» (Mét., Δ 7, 1017 a 8-10). Sur ces attributions accidentelles, voir encore An Pr., I, 25, 43 a 34-36 et De l’âme, II, 6, 418 a 20-23. Notre auteur, on l’aura remarqué, reconnaît au passage que du fait d’un individu lettré, son genre et son espèce sont (partiellement) affectés par cette qualité, laquelle n’affecte qu’accidentellement le blanc, si ce sujet est par ailleurs blanc.

[19] L’exposé qui précède et qui a délimité la classe des êtres sub- stantiels, était déjà d’une certaine façon un exposé des propriétés de la substance. On a vu, par exemple, que cette classe réunit le sujet pre- mier et les choses qui le font voir. Dans l’exposé systématique qui commence ici, le « propre » recherché, comme l’ont relevé les com- mentateurs anciens, est ce qui convient à tous les êtres de la classe

concernée et à eux seuls.

[20] C’est à peu près textuellement ce qui a été dit en 2 a 11-13 et déjà en 1 b 3-4. Deux arguments vont être avancés concernant les substances secondes, qui, l’un (3 a 10-15) et l’autre (3 a 15-21), sont aussi empruntés à des considérations déjà exprimées.

[21] Cf 1 a 21 -22

[22] Cf. 1b 13-15.

[23] Ces affirmations concernant le genre et l’espèce sont évidemment des affirmations qui entendent rendre manifeste leur indépendance, puisque le fait, pour une chose, d’être inhérente à un sujet implique l’impossibilité, pour elle, d’exister à part du sujet où elle réside (cf. 1 a 25). Mais à quel titre et par rapport à quoi l’existence des substances secondes est-elle indépendante ? Pour exister, on l’a vu (cf. 2 b 3), un genre et une espèce nécessitent l’existence d’individus de cette espèce et de ce genre. Ils ne sont donc pas, si l’on peut dire, totalement indépendants comme le sont les substances premières. Mais par ailleurs, on l’a noté aussi (cf. 2 b 8 et sqq.), le genre et l’espèce sont les seules choses à faire voir les substances premières de façon appropriée, en somme comme des réalités qui participent d’eux (cf. Top, IV, 1, 121 a 37-38 : « Les individus participent du genre et de l’espèce »). On peut donc en conclure que l’indépendance des substances secondes se mesure au fait que, pour exister, elles n’exigent pas un sujet étranger à elles-mêmes, contrairement aux réalités non substantielles, lesquelles sont inhérentes à des sujets différents et sont imputées à ces sujets de façon inappropriée (cf. ἀλλοτρίως : 2 b 35). Ainsi le blanc, inhérent au corps de Socrate, a une existence inséparable du corps de Socrate, et le blanc en général, une existence inséparable du corps, bien qu’il soit, on l’a noté, incorporel. En revanche, le corps en général est inséparable d’un certain corps, parce qu’il est corporel.

[24] Cf. 2 a 29-34.

[25] Cf. 2 a 19-27. Individu, espèce et genre forment ainsi une unité,

alors que !’unité de l’individu avec une réalité inhérente à un sujet est accidentelle: cf. Mét., Z 11, 1037 b 5-6 (κατὰ συμβεβηκὸς ἕν, οἷον ὁ Σωκράτηςκαὶ τὸ μουσικὸν).

[26] La différence se trouve exclue des attributs accidentels, parce que son attribution est nécessaire (cf. Top, VI, 6, 144 a 23-26 οὐδεμία γὰρ διαφορὰτῶν κατὰ συμβεβηκὸς ὑπαρχόντων ἐστί, … οὐ γὰρ ἐνδέχεται τὴν διαφορὰν ὑπάρχειν τινὶ καὶ μὴ ὑπαρχειν). Au contraire, la différence d’un genre entre, avec le genre, dans la for- mule constitutive de l’espèce (définition) : cf. Top., VI, 5, 143 a 23-24. Le genre et la différence forment ainsi une unité : cf. Mét., Z 12, 1037 b 11-12 (ἕν ἐστιν οὗ τὸν λόγον ὁρσμὸν εἶναί φαμεν, οἷον τοῦ ἀνθρώπου τὸ ζῷον δίπουν). Mais cela est vrai des différences d’un genre non substantiel (la science, par exemple), autant que des diffé- rences d’un genre substantiel (l’animal) ; or la différence d’un genre non substantiel (spéculatif, par exemple, dans le cas de la science) semble bien inhérente à un sujet (l’âme), puisqu’elle est constitutive d’un sous-genre ou d’une espèce inhérente à un sujet. Ce n’est donc pas de la différence comme telle qu’on peut dire qu’elle compte parmi les choses non inhérentes à un sujet, mais de la différence dans le genre de la substance.

[27] Mêmes exemples en Top., Il, 1, 109 a 14-15 (τινὶ ζῴῳ πεζῷ δίποδι εἶναι) Terrestre et bipède, on le sait (cf. 1 b 18 et note ad locum), ne sont pas des différences constitutives d’espèces à propre- ment parler. Bien que l’on puisse définir l’homme comme un animal bipède (cf. exemple cité à la n. précédente), elles ne suffisent pas, même ensemble, à proprement constituer l’homme. Les deux mêmes exemples illustrent, en Top., IV, 2, 122 b 16-17, la thèse selon laquelle la différence n’indique pas l’essence (τί ἐστι) mais plutôt une qualité (ποιόν τι). La même thèse est défendue ici, un peu plus loin (3 b 15- 21 ), à propos des substances secondes. Celles-ci, comme la différence, indiquent, non pas une qualité pure et simple, mais une qualité substantielle.

[28] Cf. supra, 3 a 17-20 (à propos des substances secondes).

[29] Cf. supra, 1a24-25 (la notion d’inhérence ne s’applique pas aux parties d’un tout naturel). Les parties d’animaux sont dites expressé- ment substances dans Mét., L’i 8, 1017 b 12; les parties des animaux, des plantes, des corps naturels et du ciel en Mét., Z 2, 1028 b 9, 11 et

13 ; celles des plantes, des animaux et du ciel en Mét., H 1, 1042 a 9, 10 et 11. Tout cela, selon l’opinion commune que notre auteur veut éviter de contredire (« il n’y a pas à redouter de nous voir contraints de nier »). Pourquoi cette remarque prend-elle place ici ? Très visiblement parce que ce qui vient d’être dit de la différence paraît mettre en cause l’opinion communément reçue que les parties d’une substance sont des substances. On peut en effet dire que la différence est une par- tie constitutive de la substance (l’homme n’est pas accidentellement terrestre et la formule du terrestre est imputée à l’homme) ; or elle n’est pas une substance ! Voilà donc, semble-t-il, une partie de sub- stance qui n’est pas substance elle-même. L’auteur dissipe le malentendu en précisant que ce n’est pas une chose comme la différence qu’il avait en vue lorsqu’il parlait plus haut des choses en un sujet, c’est-à-dire de celles qui se trouvent en quelque chose à titre de parties. Mét., Z 11 permet de comprendre la distinction. Il y a, d’un côté, « les parties de la forme » (τοῦ εἴδους μέρη) et, de l’autre, les parties « qui ne sont pas parties de la forme, mais du composé » de matière et de forme( … ἀλλὰ τοῦσυνειλημμένου : 1036 a 26-27). La différence, qui entre dans la formule définitoire, fait partie de la forme. La main, la tête, l’os ou le sang, qui n’y entrent pas, sont des parties du composé de matière et de forme. C’est ce genre de distinction qu’invoque dis- crètement !’auteur de notre passage : les choses qui prennent place dans une substance à titre de parties et qu’on appelle substances sont les parties du composé, non les parties qui entrent dans la formule défi- nitionnelle de la substance considérée, comme par exemple la diffé- rence spécifique. Les commentateurs, curieusement, n’ont pas saisi l’allusion, alors que pourtant, elle est amenée par une réflexion simple sur le statut paradoxal et ambigu de la différence, laquelle, ainsi que l’observaient les lecteurs anciens, n’est ni substance, ni non plus acci- dent. Les différences, qui ne sont pas des substances, ne sont pas en effet non plus inhérentes à un sujet, comme il vient d’être dit ; donc, elles font apparemment partie des substances, mais sans être elles- mêmes des substances. Pour éviter que cette conclusion implicite ne paraisse contredire l’idée reçue touchant les réalités inhérentes au tout, qui sont, elles, des substances, l’auteur doit donc préciser que ce n’est pas dans le même sens que les réalités inhérentes au tout ont été évoquées. La précision (οὐ γὰρ… ἔν τινι : lignes 3 a 31-32) revient à rappeler que « ce n’est pas ainsi [entendez : dans le sens de non substances] que l’on parlait des réalités inhérentes à un sujet lorsqu’elles se trouvent en quelque chose à titres de parties ». La définition de l’inhérence (1 b 24-25), à laquelle renvoie l’auteur, excluait en effet de l’inhérence accidentelle les parties d’un tout substantiel. Mais cette exclusion, déclare notre auteur, n’était pas du même ordre que celle qui exclut ici la différence de la même inhérence accidentelle.

[30] La thèse dégage explicitement une idée qui ressort des considé- rations précédentes : tant les substances secondes (3 a 17-20) que les différences (3 a 25-28) donnent leur nom et leur formule aux sujets dont elles sont dites. Le terme κατηγορία (utilisé en 3 b 25) est traduit par « catégorisation » par A. de Libera (Porphyre lsagoge, déjà cité, p. xxv). Cette traduction suggère que l’imputation au moyen du genre, de l’espèce et de la différence, classe le sujet de l’imputation (espèce ou individu) dans l’un des dix types de prédications : ici, le sujet est rangé dans la substance ; ailleurs, il serait rangé, par exemple, dans la qualité, si l’on dit d’un « certain blanc » qu’il est blanc ou une couleur ; et ainsi de suite. Mais l’imputation n’est« catégorisation » en ce sens que si elle se place dans l’ordre de l’essence, c’est-à-dire si elle répond à la question de savoir ce qu’est la chose qu’on a sous les yeux (cf. Top., I, 5, 102 a 32-34 : ἐν τῷ τί ἐστι δὲ κατηγορεῖσθαι τὰ τοιαῦτα λεγέσθω ὅσα ἁρμόττει ἀποδοῦναι ἐρωτηθέντα τί ἐστι τὸπροκείμενον). Or justement, ce n’est pas toujours le cas. Au contraire, Top., I, 9, 103 b 22 précise même très clairement que l’impu- tation de l’essence n’est qu’un des genres généraux d’imputation (cf. Introduction, supra, p. LXXVI-LXXXV). Il est donc fallacieux de traduire ici κατηγορία par« catégonsation »,car ce mot, comme le verbe correspondant κατηγορεῖσθαι, peut désigner l’opération qui consiste à attribuer de manière accidentelle une qualité, une quantité, etc. à un sujet substantiel, même si dans notre passage et le plus souvent dans C, ce n’est pas le cas.

[31] Cf. 2 a 12.

[32] Cf. 1 b 12-15 et 2 a 14-19.

[33] Cf. 3 a 22-25. Ce passage n’a pas explicitement mentionné que la différence se dit de l’individu. La différence par ailleurs ne se dit pas de !’espèce de la même façon que le genre ; le genre en effet, ainsi que sa différence constitutive, se dit au même titre de plusieurs espèces, alor’ que sa différence divisive ne se dit que de l’espèce dont elle est com.titutive.

[34] Cf. 2 a 19-27 et 1b10-12.

[35] Cf. 3 a 25-28. Ce passage ne mentionne pas non plus expressément les individus.

[36] Cf. 1 a 6-7.

[37] Pour comprendre la portée de ces remarques, il faut distinguer d’abord l’imputation de la différence (bipède) et l’imputation, par exemple, d’une qualité (blanc). La différence et la qualité sont impu- tables l’une et l’autre à l’espèce (homme) et à l’individu (Socrate). Ainsi dit-on que l’homme ou Socrate sont bipèdes ou qu’ils sont blancs. Mais de l’homme, on peut dire qu’il est bipède ou animal de manière univoque, parce que bipède inclut la formule de l’animal (un bipède est un animal bipède) et de Socrate, on peut dire qu’il est homme ou bipède de manière univoque, parce que l’homme contient la formule de l’animal et du bipède (l’homme est un animal bipède). Or on ne peut pas dire de manière univoque que l’homme est blanc ou ani- mal, ni de Socrate, qu’il est homme ou blanc, parce que ces choses n’ont pas la même formule. D·un côté, !’imputation des substances

secondes ou de la différence est d’ordre essentiel, de !’autre, !’imputa- tion de la qualité est accidentelle. Mais il faut distinguer aussi par ailleurs l’imputation de la qualité à titre accidentel. dont on vient de parler, et l’imputation de la qualité à titre essentiel. Quand nous disons de ceci, un certain blanc, qu’il est du blanc, de la blancheur ou une couleur, nous imputons une espèce (blanc ou blancheur) et un genre (couleur) et nous supposons qu’il est, dans le genre, une différence (x) constitutive de l’espèce. À celle-ci (le blanc ou la blancheur), on peut imputer le genre (couleur) et la différence (x) de façon univoque, et à un certain individu (un certain blanc), on peut imputer l’espèce (blanc) et la différence (x) de façon également univoque, parce que le blanc est une couleur spécifique. Qu’en conclure ? Tout simplement que les imputations à partir de l’espèce et les imputations à partir de la différence se font de manière univoque chaque fois que l’imputation est d’ordre essentiel et pas seulement lorsqu’on indique la substance en imputant des substances secondes. Notre auteur donne l’impression de présenter ici un trait commun aux substances et à la différence, mais ce trait n’oppose en commun la substance et la différence à tout ce qui n’est pas substance que dans la seule hypothèse où l’on envisage que le sujet ultime de toutes les imputations est la substance première.

[38] Ce jugement universel est une opinion, qui va être immédiate- ment contestée. C’est probablement conformément à l’opinion, qu’Aristote emploie l’expression « une chose précise » (τόδε τι : lit- téralement, « quelque ceci » ou « un ceci en quelque sorte »). L’expression est utilisée pour désigner, sans la nommer et faute de pouvoir la nommer autrement, la sorte de chose que constitue une substance en elle-même, indépendamment des accidents qu’on peut lui attribuer : Socrate, qui constitue en lui-même une « chose pré- cise », différente du blanc et de tout le reste qui lui appartient. La conviction qui s’exprime ainsi est à la fois que cette chose existe toi qu’elle est bien déterminée. L’idée s’apparente de très près à celle que la substance est une chose indépendante ; les deux notions sont liées dans l’opinion : « être une chose indépendante et une chose précise sont les principaux traits, semble-t-il, de la substance » (τὸ χωριστὸν καὶ τὸ τόδε τι ὑπάρχειν δοκεῖ μάλιστα τῇ οὐσία : Mét., Z 3, 1029 a 27-28). Aristote en tire d’ailleurs au passage la conclusion que la substance doit être du côté de la forme (ou du composé de forme), plutôt que du côté de la matière, qui est indéterminée (cf. De l’âme, II, l, 412 a 7-9; Mét., Δ 8, 1017 b 18 et 22-26 ; Z 11, 1037 a 2; 13, 1038 b 5 ; etc.). L’indépendance de la substance, de son côté, rappelle ce qui a été dit plus haut, ici même, du non substantiel qui, inhérent à un sujet, ne peut exister à part du sujet substantiel ( 1 a 25), car une réalité indépendante est en elle-même une chose précise en dehors de ce qui lui est inhérent. L’idée de pareille chose est encore liée à la notion d’essence (τίἐστι). En effet, puisque l’on est ou devient quelque chose (τι) au gré de chaque imputation, ce qu’est la substance, c’est un « ceci » (τόδε) : cf. Mét., Z 7, 1032 a 14-15 (τὸ δὲ τὶ λέγω καθ’ ἑκάστην κατηγορίαν·  ἢ γὰρ τόδε ἢ ποςὸν ἢ ποιὸν ἢ πού …).·Mais il faut ici distinguer. Certes, du point de vue logique, on peut imputer une essence à tout ce qui n’est pas substance comme à la substance elle-même (cf. Top., I, 9, 103 b 21) et se demander, par exemple, ce qu’est en soi-même le blanc (ibid., 103 b 31-33), parce que l’être en soi, c’est tout ce qu’indiquent les figures de l’imputation (cf. Mét., Δ 7, 1017 a 22-23). Reste cependant que l’essence, «qui s’entend de plusieurs façons », a deux acceptions fondamentalement différentes : « en un sens, elle indique la substance et le fait d’être une chose précise, mais c’est en un autre sens qu’elle indique tout ce qui lui est imputé, une quantité, une qualité et ainsi de suite » (Mét., Z 4, 1030 a 16-20 : τὸ τί ἐστι πλεοναχῶς λέγεται· καὶ γὰρ τὸ τί ἐστιν ἕνα μὲν τρόπον σημαίνει τὴν οὐσιαν καὶ τὸ τόδε τι, ἄλλονδὲ ἕκαστον τῶν κατηγορουμένων, ποςὸν ποιὸν καῖ ὅσα ἄλλα τοιαῦτα). Dans le premier cas, c’est l’essence entendue au sens pre- mier et absolu (πρώτος… ἁπλῶς : 1030 a 22 et 23) ; mais au sens second, c’est en un sens dérivé et non absolu (ἑπομένως…  οὐχ ἁπλῶς : 1030 a 22 et 25), pour la raison bien connue et développée dans notre texte que le non substantiel, inhérent à la substance, n’existe que par elle et qu’en définitive, la qualité, par exemple, n’existe pas de manière indépendante et n’est rien sans la substance première (cf. supra, 2 a 34 et sqq.). Seul est fondamentalement au sens premier et absolu l’être qui ensemble « indique l’essence et une chose précise » (σημαίνει… τί ἐστι καὶ τόδε τι: Mét, Z 1, 1028 a 11-12). La substance, c’est-à-dire tout ce qui indique une chose pré- cise, est explicitement appelée par Aristote une chose en soi, parce qu’elle ne se dit pas d’un autre sujet et qu’elle est ce qu’elle est sans être quelque chose de différent, contrairement au blanc, par exemple, qu’il appelle un accident (cf. An. Sec., 1, 4, 73 b 5-10 : ὃ μὴ καθ’ ὑποκειμένου ἄλλου τινός… ἡ δ’ οὐσία καὶ ὄσα τόδε τι σημαίνει οὐχ ἕτερόν τι ὄντα ἐστὶν ὅπερ ἐστίν… … καθ’ αὑτὰ λέγω…) La question est de savoir ici si les substances secondes, qui se disent d’un sujet, mais non d’un sujet entièrement autre, puisque leurs noms et leurs formules sont imputés à ce sujet (cf. 2 a 19-21), indiquent une chose précise, comme ce sujet.

[39] Cf. 1 b 6-7. L’individu substantiel, qui forme une unité numé- rique indivisible, est de ce fait même un sujet déterminé. La nature de l’unité se tire d’ailleurs de l’individualité d’une chose précise (cf. Mét., 1 1, 1052 b 16 : τὸ ἑνὶ εἶναι τὸ ἀδιαιρέτῳ ἐστὶν εἶναι ὄπερ τόδε ὄντι… ).

[40] Les mêmes mots – spécifique (homme) ou générique (animal) – servent à identifier l’individu (cf. 1 b 15 et 2 a 30 et sqq.) et créent ainsi l’apparence que l’espèce et le genre indiquent quelque objet précis. De plus, si les substances secondes sont les seules réalités imputées à un sujet qui « donnent à voir la substance première » (cf. 2 b 31 : 8111..δηλοῖ τὴν πρώτην οὐσιάν), elles semblent ainsi viser une chose précise.

[41] La même thèse est exposée par Aristote quand il s’agit de trancher négativement la question de savoir si la généralité (l’universel) peut être la substance de chaque chose particulière, c’est-à-dire principe substantiel : « aucune des choses imputées en commun n’indique quelque chose de précis, elle indique au contraire quelque chose d’une certaine qualité (Mét., Z 13, 1039 a 1 : οὐδὲν σημαίνει τῶν κοινῇ κατηγορουμένων τόδε τι, ἀλλὰτοιόνδε ; cf. 1039 a 16 : τοιόνδε ἀλλὰ μὴ τόδε τι σημαίνειν). L’universel qu’Aristote oppose ainsi au particulier, n’est pas la forme, opposée au composé de matière et de forme, mais bien le composé des deux en général (cf. Z 11, 1037 a 6- 7 : ὁ δ’ ἄνθρωπος ἢ ζῷον τὸ ἐξ ἀμφοῖν ὡς καθόλου), c’est-à-dire l’espèce et le genre, comme c’est le cas ici. Dans les deux passages, c’est le même argument qui empêche les substances secondes ou les universels d’être associés à l’indication d’une chose précise : le fait qu’ils s’appliquent à plusieurs sujets, non à un seul, comme la substance première individuelle. D’où l’on voit que la « chose précise » qui se trouve associée à la notion de substance, est en définitive quelque chose d’unique, de propre à l’individu et irréductible à une espèce et à un genre, même si le nom et la formule de ceux-ci. servent à la faire voir adéquatement (cf. 2 b 32). Et cette chose irréductible est ce sans quoi l’espèce et le genre n’existeraient pas (cf. 2 a 34 et sqq.). Si Socrate (substance première) est irréductible à l’homme, bien qu’il soit homme (substance seconde), c’est donc qu’il y a, dans Socrate, « quelque chose de précis », qui ne se réduit pas à !’homme en général mais le constitue pourtant comme homme : c’est le principe, la substance de la substance (première) que cherchent à mettre en évidence les exposés de la Méta- physique et dont il est dit qu’on ne peut le trouver dans un universel (cf. K 2, 1060 b 21-22 : τὴν δ’ οὐσίαν μὴ τῶν καθόλου εἶναιμᾶλλον δὲ τόδε τι καὶ χωριστόν).

[42] Se trouvent ainsi distinguées deux sortes de qualité. La première et la plus évidente sera examinée plus loin (8 b 25 et sqq.). La Métaphysique en donne un exemple clair dans son rapport avec la substance : « quand nous affirmons qu’une chose précise a une certaine qualité, nous disons qu’elle est bonne ou mauvaise » (Z 1, 1028 a 15- 16 : ὄταν μὲν γὰρ εἴπωμεν ποῖόν τι τόδε, ἢ ἀγαθὸν λέγομεν ἢ κακόν…). La seconde sorte, ici envisagée, est attribuable elle aussi à une chose précise, comme la première, mais, contrairement à la pre- mière, elle n’est pas inhérente à cette chose comme à un sujet. Par conséquent, alors que seul le nom de la première est imputable au sujet, la formule de la seconde est encore imputable à ce sujet (cf. 2 a 19-34). Donc, pour un même sujet qui indique une chose précise, la première sorte de qualité se dit d’un sujet essentiellement différent et constitue un être accidentel, tandis que la seconde sorte se dit d’un sujet essentiellement identique et fait voir cet être lui-même. Autre- ment dit, la première sorte de qualité qui se dit accidentellement de la substance est en elle-même une qualité, une qualité pure et simple (ἁπλῶς), tandis que la seconde, qui fait voir la substance première en elle-même, indique une qualité essentielle, propre à celle-ci. Bien que notre passage ne le dise pas expressément, l’espèce et le genre substantiels ne sont pas les seules choses à constituer des qualités de ce type. La différence l’est aussi, de façon encore plus évidente, parce qu’elle n’indique pas l’essence (cf. Top., IV, 2, 122 b 16-17 : οὐδεμία γὰρ διαφορὰ σημαίνει τί ἐστιν ἀλλὰ μᾶλλον ποιόν τι, καθάπερ τὸ πεζὸν καὶ τὸδίπουν). La différence spécifique, en effet, constitutive de l’espèce à l’intérieur du genre, n’est pas un pur accident de la sub- stance: comme le genre et l’espèce, on l’a vu plus haut (3 a 21-28), elle se dit d’un sujet et sa formule est imputable au sujet ; elle n’est pas, comme la qualité pure et simple, une qualité en soi, inhérente à un sujet. C’est elle d’ailleurs que Mét. Δ prend pour exemple afin d’illus-trer la sorte particulière de qualité qu’est la qualité substantielle (ποιὸν λέγεται ἔνα μὲν τρόπον ἡ διαφορὰ τῆς οὐσίας,… ὡς τῆς διαφορᾶς τῆς κατὰ τὴν οὐσίαν ποιήτητος οὔσης : 14, 1020 b 33-36 ; cf. 28, 1024 b 5-6 : … γένος οὗ διαφοραὶ λέγονται αἱ ποιότητες). Par ailleurs, le fait que les substances secondes n’indiquent pas une chose précise, mais une qualité substantielle, permet évidemment de dire qu’aucun universel, imputé à plusieurs choses, n’indique une chose précise, puisque l’espèce et le genre substantiels font partie des choses qui indiquent la qualité au sens large (cf. Réf soph., 22, 179 a 8-10: οὐ δοτέον τόδε τι εἶναι τὸ κοινῇκατηγορούμενον ἐπὶ πᾶσιν, αλλ’ ἤτοι ποιὸν ἤ ποσὸν ἢ τῶν τοιούτων τι σημαίνειν).

[43] Cf. la définition du genre dans Top, 1, 5, 102 a 21-22 : γένος δ’ ἐστὶ τὸ κατὰ πλειόνων καὶ δαφερόντων τῷ εἴδει ἐν τῷ τί ἐστι κατηγορούμενον. – Parmi les traits réputés communs à toutes les substances, étudiés à partir de 3 a 7, le fait d’indiquer une chose pré- cise est le seul qui, à l’examen, se révèle n’en être pas un parce qu’il caractérise en propre la substance première. Ce trait est donc le propre de ce qui est dit fondamentalement substance.

[44] Cf. Phys., 1, 6, 189 a 32-33 (οὐκ εἶναι φαμεν οὐσίαν ἐναντίαν οὐσίᾳ). Examiner les contraires est un lieu fréquemment signalé dans les Topiques (dès II, 6-7, à propos de l’accident). Comparez, ci-après, 5 b 11 (à propos de la quantité), 6 b 15 (à propos des relatifs) et 10 b 11 (à propos de la qualité). Sur les contraires en général, voir infra, 11 b 17 et sqq.

[45] Cf. supra, 3 a 21. Il s’agit d’un propre « relatif », au sens pré- cisé dans Top., I, 5, 102 a 25-26; V, 1, 128 b 16-17.

[46] Ce passage anticipe le développement de 5 b 11-6 a 18. Il sera encore dit expressément plus loin (6 b 18), qu’outre les qualités, cer- tains relatifs, tels que demi et triple, n’ont pas de contraires ; c’est que l’opposition du demi et du double, du triple et du tiers, est une opposi- tion spécifique, celle que forment les corrélatifs (cf. 11 b 18).

[47] Le lieu tiré du plus ou moins est aussi fréquemment signalé dans les Topiques (dès Il, 10, 114 b 37, à propos de l’accident). Comparez, ci-après, 6 a 19 (à propos de la quantité), 6 b 19 (à propos des relatifs) et 10 b 26 (à propos de la qualité).

[48] Cf. supra, 2 b 7 et sqq.

[49] Entendez« ce qu’elle est en tant que chose précise » : cf. Mét., Z 4, 1030 a 3 (ὅπερ γὰρ <τόδε> τί ἐστι τὸ τί ἦν εἶναι). Par exemple, pour l’homme ou l’animal, ce que c’est qu’être homme ou animal : cf. Mét., r 4, 1007 a 22-23 (τὸ ὅπερ ἀνθρώπῳ εἶναι ἢ ζῴῳ εἶναι). La thèse que la substance ne souffre pas de gradation (elle est ou elle n’est pas, tout simplement) paraît contredite par l’affirmation de Top., V, 8, 137 b 36-138 a 2 : « puisque le propre du feu c’est de se porter natu- rellement vers le haut, le propre du plus feu (τοῦ μᾶλλον πυρὸς), ce sera aussi de se porter plus vers le haut naturellement ». Mais « plus feu» dans ce passage, est en fait l’équivalent de «plus igné ». L’expression caractérise le mélange plus léger où domine le feu et qui se compare au mélange moins léger où le feu n’est pas dominant. Dans le même sens, on pourrait dire du visage d’un singe qu’il est plus ou moins humain parce qu’il ressemble plus ou moins à celui de l’homme. Mais on ne pourrait dire de l’homme qu’il est plus ou moins humain, que pour lui attribuer à différents degrés une qualité propre (par exemple, une capacité scientifique). Par ailleurs, il semble impossible de poser des degrés dans la différence spécifique (on n’est pas plus ou moins bipède).

[50] Cf. Top., Il, 11, 115 b 8-9 : πολλὰ γὰρ τῶν οὐ λεγομένων μᾶλλον καὶ ἧττον ἁπλῶς ὑπάρχει· ἄνθρωπος γὰρ οὐ λέγεται μᾶλλον καὶ ἧττον. L’auteur de C assume que !’humanité (forme spé- cifique) ne varie pas en plus ou en moins, malgré les différences en plus ou en moins que présentent par ailleurs les individus de la même espèce ou le même individu au fil du temps. Il aurait pu envisager aussi les variations que présentent les espèces d’un même genre et nier que l’on soit, par exemple, plus ou moins animal selon les cas.

[51] La comparaison de !’homme avec le blanc, le beau ou le chaud est éclairante, parce qu’elle met en opposition l’imputation de l’espèce à l’individu substantiel et l’attribution d’une qualité au même individu et prépare l’énoncé du propre véritable qui va suivre (4 a 10 et sqq.). Mais si l’on compare l’imputation de l’espèce homme à l’individu sub- stantiel et ce qui lui est comparable, savoir l’imputation de l’espèce blanc à l’individu correspondant (« un certain blanc » : cf. 1 a 27), les choses ne se présentent pas, semble-t-il, de manière différente. Deux cas individuels de blanc (ou de blancheur), l’un plus, l’autre moins blanc, sont également ce qu’ils sont, c’est-à-dire du blanc (ou de la blancheur), que ces cas s’observent dans deux individus substantiels différents (Socrate et Coriscos) ou dans le même individu substantiel à des instants différents (Socrate jeune et Socrate vieux). Il en va de même au niveau du genre. Le blanc et le bleu ne sont pas plus ou moins des couleurs, pas plus que !’homme et le cheval ne sont plus ou moins des animaux. Dans un sujet qui blanchit, en devenant plus blanc (le corps de Socrate), le sujet substantiel reste essentiellement le même et la qualité reste essentiellement la même, c’est-à-dire de la blancheur, sinon il serait impossible de reconnaitre à travers la différence de plus ou de moins la même couleur.

[52] « Recevoir les contraires » est différent « d’avoir un contraire » (cf. supra, 3 b 24) ; la substance, qui n’a pas de contraire ou n’est contraire à rien, peut recevoir des contraires, c’est-à-dire être affectée par autre chose de non substantiel qui a un contraire et par le contraire de cette chose. Cela lui est propre au sens absolu, tel que précisé en Top, 1, 5, 102 a 25-26 et V, 1, 128 b 16-17. La réserve exprimée par

« semble-t-il » sera levée par la réfutation de l’objection formulée à partir de 4 a 22.

[53] Il peut paraître étrange que parlant d’une propriété non substan- tielle « numériquement une » (4 a 13), et donc évoquant une propriété individuelle au même titre que la substance première (cf. 1 b 6 et 3 b

12), l’auteur prenne pour exemple« la couleur »,qui est un genre (cf. 14 a 21-22), comme l’animal (cf. 2 a 37 et 2 b 1), et à laquelle sont attribuées, comme des qualités (« noire et blanche »), ses espèces contraires. Mais !’expression « la couleur qui est une et la même numériquement » (4 a 14) est l’exact équivalent de « telle couleur par- ticulière » et vise une coloration individuelle, qui, noire ou blanche, ne peut être elle-même et son contraire à la fois. Cette assertion est com- patible avec le fait que le blanc peut être plus ou moins blanc (cf. supra, 4 a 1) et qu’il existe des couleurs intermédiaires entre le blanc et le noir, car elles ne sont ni blanches ni noires (12 a 20-21 et 12 b 33- 34). La même couleur blanche ne peut devenir noire parce que le blanc et le noir sont les espèces contraires du genre couleur lui-même. La même mauvaise action (un adultère, un vol, un meurtre : cf. Éth. à Nicom., II, 6, 1107 a 11-12), de son côté, ne peut devenir bonne, parce que la mauvaise action est un genre d’action contraire au genre de la bonne. Pour tout ce qui n’est pas substantiel et a un contraire, changer en son contraire, c’est disparaître et laisser la place à son contraire ; mais pour la substance, qui n’a pas de contraire, changer, c’est aussi recevoir un contraire. Quant à la réalité non substantielle qui n’a pas non plus de contraire (tel nombre : trois par exemple) et qui reçoit un contraire (l’impair), elle ne peut recevoir l’autre contraire (pair) en res- tant la même. Cette possibilité est réservée au sujet ultime auquel sont

inhérents les contraires.

[54] Les changements de contraires ici envisagés sont des cas d’altération. Mais la substance peut aussi croître et diminuer, ce qui repré- sente des changements contraires, et se déplacer en sens contraires selon le lieu (cf. infra, 15 b 1-16). On notera par ailleurs que les quali- tés corporelles et psychiques ne sont plus ici attribuées, respective- ment, au corps et à l’âme (comme en 1 a 26 et 28), mais globalement à l’homme. – Reste la question, soulevée par les anciens commenta- teurs, de savoir si ce propre convient à toutes les substances, aux sub- stances secondes comme à la substance première ou si, comme le fait d’indiquer une chose précise (cf. supra, 3 b 10-23), ce propre n’est pas plutôt réservé à la substance individuelle, une et la même numérique- ment. Il est clair en effet que l’espèce et le genre sont seulement sus- ceptibles de contraires en raison des individus qui en font partie. C’est dans tel individu que l’homme et l’animal deviennent blancs ou noirs, pas à titre d’universels, c’est-à-dire à titre de réalités qui se disent de plusieurs.

[55] Cet argument rappelle les considérations du Sophiste (259 E-264

B), où Platon expose en toutes lettres que le discours et l’opinion, sorte de discours intérieur de l’âme, sont des genres d’êtres auxquels se mêle le non-être, de sorte qu’on peut leur attribuer des qualités contraires : le vrai et le faux. – Dans l’optique de C, l’opinion est probablement à ranger, comme la science et la sensation (7 b 23-8 a 12), dans les rela- tifs, et le discours, comme simple expression verbale (de l’opinion), parmi les quantités (4 b 33). L’objection a donc une certaine portée.

[56] Dans le Sophiste (263 A), deux opinions différentes et deux dis- cours différents illustrent le vrai et le faux : « Théétète est assis » et « Théétète, avec qui je dialogue présentement, vole ». Ici, la même opinion et le même discours qui l’exprime passent du vrai au faux, selon que la réalité à laquelle ils se rapportent ne reste pas la même. La permanence de !’opinion et du discours est ce qui permet de réfuter

ensuite l’objection.

[57] Il convient cependant de distinguer, car l’affirmation selon laquelle une réalité substantielle est « elle-même » changeante prête à confusion. Il est vrai que la substance change, dans la mesure où elle peut être affectée successivement par des qualités contraires qui lui sont inhérentes, sous réserve que les qualités naturelles sont immuables (le feu est toujours chaud et la neige toujours blanche : cf. 12 a 38). Mais il est vrai aussi qu’indépendamment de ce qui l’affecte acciden- tellement, la substance reste la même : blanc ou noir, un corps reste substantiellement identique ; or le discours et l’opinion, «totalement immuables en tout point » (4 a 35), ne sont-ils pas, de façon analogue, accidentellement affectés par le fait d’être vrais ou faux ? On pourrait rétorquer que le discours doit être nécessairement vrai ou faux, alors que la substance n’est pas nécessairement blanche ou noire (cf. 12 a

15-19), mais le corps de l’animal doit être nécessairement sain ou malade (cf. 12 a 4-6). Peut-être notre auteur pense-t-il que l’altération d’un corps implique, outre l’altération proprement dite (un corps chaud qui devient froid), une modification matérielle (le corps devient moins igné) qm ne change nen à sa forme (essentielle), alors que matérielle- ment, le discours, lui, ne change pas.

[58] Même affirmation dans Mét., 0 10, 1051 b 13-15 : « Quand sont en cause des réalités susceptibles d’être autrement qu’elles ne sont, la même opinion peut devenir fausse et vraie, et le même discours aussi ; ils peuvent tantôt dire la vérité, tantôt expnmer une erreur » (περὶ μὲν οὖν τὰἐνδεχόμενα ἡ αὐτὴ γίγνεται ψευδὴς καὶ ἀληθὴς δόξα καὶ ὁ λόγος ὁ αὐτος, καὶ ἐνδέχεται ὁτε μὲν ἀληθεύειν ὁτὲ δὲ ψεύδεσθαι).

[59] Le rapport de cause à effet établi entre la réalité et le discours, vrai ou faux, qui la prend pour objet est encore exprimé plus loin (14 b 18-22) et correspond à la thèse de Mét., 8 10, 1051b6-9 (οὐ γὰρ διὰ τὸ ἡμᾶς οἴεσθαι ἀληθῶς σὲ λευκὸν εἶναι εἶ σὺ λευκός ἀλλὰ διὰ τὸ σὲ εἶναι λευκὸον ἡμεῖς οἱφάντες τοῦτο ἀληθεύομεν). On peut cependant voir que, la réalité restant la même, le discours qui change à son sujet peut recevoir les contraires (vrai ou faux) en raison lui aussi de son propre changement. Si de vrai, il devient faux et ne correspond plus à la réalité, c’est alors en vertu des modifications qui lui ont été apportées. Bref, l’altération du discours sur la substance, comme l’alté- ration de la substance sur laquelle il porte. peuvent affecter l’indice de vérité de ce discours. Mais le discours et son indice de vérité (sa cor- respondance au réel) sont des choses différentes (voir à ce sujet, Mét , Δ 7, 1017 a 31 et sqq.).

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