[3] § 1. Ὅταν ἕτερον καθ’ ἑτέρου κατηγορῆται ὡς καθ’ ὑποκειμένου, ὅσα κατὰ τοῦ κατηγορουμένου λέγεται, πάντα καὶ κατὰ τοῦ ὑποκειμένου ῥηθήσεται· |
Lorsqu’une chose est imputable[1] à une seconde comme à un sujet, tout ce qui se dit de la chose imputée, tout cela doit aussi se dire du sujet[2]. |
οἷον ἄνθρωπος κατὰ τοῦ τινὸς ἀνθρώπου κατηγορεῖται, |
Ainsi, l’homme est imputable à cet homme ; |
τὸ δὲ ζῷον κατὰ τοῦ ἀνθρώπου·
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or l’animal se dit de l’homme ; |
Οὐκοῦν καὶ τοῦ τινὸς ἀνθρώπου τὸ ζῷον κατηγορηθήσεται· |
donc, à cet homme aussi l’animal doit être imputé. |
ὁ γὰρ τὶς ἄνθρωπος καὶ ἄνθρωπός ἐστι καὶζῷοον |
Cet homme, en effet, est aussi homme et animal[3].
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§ 2. Τῶν ἑτερογενῶν καὶ μὴ ὑπ’ ἄλληλα τεταγμένων ἕτεραι τῷ εἴδει καὶ αἱ διαφοραί, |
Les genres distincts l’un de l’autre et non subordonnés l’un à l’autre présentent également des différences distinctes. |
οἷον ζῴου καὶ ἐπιστήμης· |
Ainsi, l’animal et la science. |
ζῴου μὲν γὰρ διαφοραὶ τό τε πεζὸν καὶ τὸ πτηνὸν καὶ τὸ ἔνυδρον καὶ τὸ δίπουν, |
L’animal, en effet, a pour différences, par exemple, le terrestre, le bipède, l’ailé. |
ἐπιστήμης δὲ οὐδεμία τούτων· οὐ γὰρ διαφέρει ἐπιστήμη ἐπιστήμης τῷ δίπους εἶναι. |
Or la science ne présente aucune de ces différences, car on ne différencie pas une science d’une autre science par le fait d’être bipède[4]. |
§ 3. Τῶν δέ γε ὑπ´ ἄλληλα γενῶν οὐδὲν κωλύει τὰς αὐτὰς διαφορὰς εἶναι· |
En revanche, les genres subordonnés les uns aux autres, rien ne les empêche de présenter les mêmes différences. |
τὰ γὰρ ἐπάνω τῶν ὑπ´ αὐτὰ γενῶν κατηγορεῖται, ὥστε ὅσαι τοῦ κατηγορουμένου διαφοραί εἰσι τοσαῦται καὶ τοῦ ὑποκειμένου ἔσονται. |
Car les genres supérieurs sont imputables à ceux qui leur sont subordonnés[5], si bien que toutes les différences du genre imputé doivent être également celles du sujet[6]. |
[1] Le verbe κατηγορεῖσθαι (« être imputable »), employé avec le complément κατά τινος (« à quelque chose »), se présente comme l’équivalent de λέγεσθαι κατά τινος (« être dit de quelque chose ») qu’on rencontre plus haut. Les deux verbes, en pareil cas, traduisent l’attribution, non d’un simple prédicat, mais d’un «prédicable », au sens où l’entendait Porphyre (cf. récemment, A. de Libera dans Por- phyre lsagoge, Texte grec et latin, traduction par A. de Libera et A.- Ph. Segonds, Introduction et notes par A. de Libera, p. xx), c’est-à-dire l’attribution de l’espèce ou du genre. Ce n’est peut-être pas toujours le cas des verbes simples : κατηγορεῖσθαι, comme λέγεσθαι, peut indiquer parfois l’attribution d’un simple prédicat (par exemple, en 2 a 31-32, 3 a 1-2 et en 2 b 31, où τῶν κατηγορουμένων désigne ensemble des prédicats et des prédicables). Mais la précision (impu- table) « comme à un sujet » lève ici toute espèce de doute.
[2] La même règle est exposée autrement dans Top., VI, 1, 120 b 19-20 (τὸ γὰρ γένος κατὰ πάντων τῶν ὑπὸ τὸ αὐτὸ εἶδος κατηγορεῖται ; cf. IV, 2, 122 a 5-6). Ici cependant, on ne lit pas que « le genre », qui se dit de l’espèce, se dit aussi du sujet individuel, mais bien que « tout ce qui se dit » de l’espèce (ὅσα… πάντα), se dit aussi du sujet individuel. Ce n’est pas nécessairement qu’outre le genre, d’autres choses soient envisagées ; c’est plutôt parce que, parlant du genre, on peut envisager à la fois son nom et sa formule (cf. plus loin, 2 a 20-21, à propos de l’espèce). Dans ces derniers cas toutefois, parce que la formule du genre inclut notamment une différence constitutive, celle-ci doit être aussi imputable au sujet.
[3] Le seul exemple choisi est emprunté aux êtres substantiels. Il n’y a pourtant aucune raison de croire que la règle ne s’appliquerait pas aux êtres non substantiels. L’homme qui se dit d’un certain homme (exemple des êtres de la première classe : 1 a 21-22) est en effet com- parable à la blancheur qui se dit d’une certaine blancheur (exemple des êtres de la troisième classe : cf. 1 b 1-3) : l’un et l’autre se disent, à titre d’espèce, d’un sujet ultime (individuel) et ils expriment l’un et l’autre l’essence (τί ἐστι), comme l’indique expressément Top., I, 9, 103 b 29-33. Le plaisir, qui n’est pas une substance, fournit ailleurs l’occasion de rappeler en d’autres termes, le principe énoncé ici (Top., IV, 1, 121 a 37-39 : καὶ γὰρ τὰ ἄτομα μετέχει τοῦγένους καὶ τοῦ εἴδους). – On a depuis longtemps remarqué que la conclusion de la ligne 1 b 14 est donnée pour logiquement contraignante. C’est la conclusion (C se dit de A) de deux prémisses (B se dit de A [majeure] et C se dit de B [mineure]), dont le moyen terme (B) se dispose comme dans le syllogisme de la première figure (Barbara). Cette conclusion, du point de vue ontologique, est-elle pour autant valide ? La relation « être imputé à une chose comme à son sujet » est-elle transitive et signifie-t-elle partout la même chose ? C’est ce dont on a discuté. On peut, par exemple, penser que la subordination de l’espèce au genre n’est pas exactement la relation d’un élément à une collectivité quel- conque. Mais, ici, pour l’espèce et pour le genre, « se dire d’un sujet » a la même signification : c’est être une unité qui convient essentielle- ment en commun à plusieurs choses. L’unité générique animal convient à l’homme et à d’autres espèces, exactement comme l’unité spécifique homme convient à tel homme et à d’autres individus. Et si le genre dont participe l’espèce est aussi ce dont participe l’individu, c’est qu’il n’est pas seulement une réalité nominale qui se prédique : c’est, dit Aristote, la « formule » du genre qui lui est imputable (ἀνάγκη γὰρ τοὺς τῶν γενῶν λόγους κατηγορεῖσθαι τοῦ εἴδους καὶ τῶν μετεχόντων τοῦ εἴδους: Top., IV, 2, 122 b 9-10). Tel indi- vidu est donc homme et animal, non parce qu’il appartiendrait à deux collectivités, l’une étroite (l’espèce) et l’autre plus large (le genre), elles-mêmes subordonnées l’une à l’autre, mais parce qu’il contient la « formule de l’homme » (animal rationnel) et que cette formule elle- même contient celle de l’animal (corps vivant).
[4] Les lignes 1b16-17 (τῶν… ἐπιστήμης) se lisent dans Top., 1, 15, 107 b 19-20 (cf. VI, 6, 144 b 12-14), à une variante près, semble- t-il (ἑτέρωνγενῶν pour ἑτερογενῶν). Elles évoquent les genres en un sens relatif, comme partout dans C ; si bien que genre veut dire aussi, par exemple, sous-genre et espèce supérieure. Seraient par conséquent « subordonnés » les uns aux autres, dans l’ordre : un genre, un sous-genre et une espèce supérieure. S’agissant de genres non subordonnés, les exemples choisis appartiennent, l’un à la substance (animal), l’autre, aux relatifs (la science). Ils sont donc irréduc- tibles de toutes les façons. Quant aux différences du genre animal, celles qui sont signalées ici sont constitutives de sous-genres plutôt que d’espèces proprement dites. Ainsi, «bipède » n’est pas proprement une différence spécifique d’oiseau ni d’homme, mais celle d’un éven- tuel sous-genre commun. Plus généralement, chaque espèce doit pos- séder en propre seulement une différence. À noter que sont aussi distinctes les différences spécifiques équivoques. Sous le même mot « aigu », par exemple, se cachent deux différences spécifiques dis- tinctes, l’une dans le genre « voix », l’autre dans le genre « masse » (cf. Top., 1, 15, 107 b 25-26 : ὁμώνυμον τὸ ὀξύ ἑτέρων γὰρ γενῶν καὶ οὐχ ὑπ’ ἄλληλα διαφοραί εἰσιν).
[5] Cette affirmation correspond à Top., VI, 5, 143 a 21-22 : πάντα τὰ ἐπάνω γένη τῶν ὑποκάτω κατηγορεῖται. Dès lors que le genre (animal) et sa formule (corps vivant) sont imputables à l’espèce, le genre et la formule d’un genre supérieur sont aussi imputables à un genre inférieur.
[6] Le défaut d’exemple montre que nous avons probablement affaire à une thèse assez évidente. Mais paradoxalement l’on ne voit pas immédiatement de quoi il retourne. L’hypothèse la plus obvie est que l’auteur considère ici les cas où sont en cause un genre et un sous- genre, qui est le genre prochain de l’espèce. Le passage de Top., VI, 5, 143 a 15-26 (signalé à la note précédente) permet de l’illustrer : le genre « état » (ἕξις) et le sous-genre « vertu » (ἀρετή) qui est le genre prochain de la justice, par exemple. Dans ces conditions, la thèse pourrait être que les différences imputables à !’état (les différences entre états naturels et états acquis, par exemple) sont aussi des diffé- rences imputables à la vertu. La difficulté, c’est que les lignes 1 b 23- 24 semblent dire que toutes les différences du genre imputé (l’état. dans notre exemple, c’est-à-dire le genre supérieur) sont aussi celles du sujet (la vertu, c’est-à-dire le genre inféneur) alors que, bien évidem- ment, ce n’est pas le cas des différences « divisives », lesquelles, par définition, déterminent les sous-genres ou les espèces à !’intérieur du genre. Les Anciens disputaient déjà de cette difficulté jusqu’à vouloir amender le texte (cf. Simplicius, p. 58, 24-60, 10) et les Modernes ont eu la même tentation (cf. Ackrill, 1963, p. 77). Cette difficulté n’est pas surmontable (cf. Zanatta, p. 448-454), à moins de s’en tenir à l’hypothèse de Porphyre (p. 85,10) et de considérer que sont naturelle- ment en cause les seules différences constitutives ou « formatives » du genre supérieur. La thèse serait alors que toutes les différences constitutives du genre imputé (l’état) sont aussi celles du sujet (la vertu). Il est vrai que notre texte parle de toutes les différences (ὅσαι… τοσαῦται) du genre imputé. Mais, au fond, c’est le cas, du moment où les différences « divisives »,pour leur part, qui sont propres chacune à un genre inféneur, ne sont pas proprement imputables au genre supérieur. D’autre part, Aristote, notons-le, pense que les différences propres au genre supérieur et qui le constituent, sont multiples, puisque, dans le passage des Topiques que nous avons déjà évoqué et où sont distingués un genre supérieur (état) et un genre inférieur (vertu), il écrit que si l’on veut définir la justice, par exemple, sans mentionner le genre pro- chain (vertu), « il faut ajouter au genre supérieur (état) toutes les différences (πάσας τὰςδιαφορὰς) au moyen desquelles se définit le genre le plus proche (vertu) » (143 a 23-25). On voit donc que plusieurs dif- férences déterminent un genre.