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| Ἐπεὶ δὲ ταύτην τὴν ἐπιστήμην ζητοῦμεν, τοῦτ’ ἂν εἴη σκεπτέον, ἡ περὶ ποίας αἰτίας καὶ περὶ ποίας ἀρχὰς ἐπιστήμη σοφία ἐστίν. | Puisque telle est la science que nous cherchons, il nous faut examiner de quelles causes et de quels principes s’occupe cette science qui est la philosophie. |
| εἰ δὴ λάβοι τις τὰς ὑπολήψεις ἃς ἔχομεν περὶ τοῦ σοφοῦ, τάχ’ ἂν ἐκ τούτου φανερὸν γένοιτο μᾶλλον. | C’est ce que nous pourrons éclaircir par les diverses manières dont on conçoit généralement le sage. |
| Ὑπολαμβάνομεν δὴ πρῶτον μὲν ἐπίστασθαι πάντα τὸν σοφὸν ὡς ἐνδέχεται, μὴ καθ’ ἕκαστον ἔχοντα ἐπιστήμην αὐτῶν· | On entend d’abord par ce mot l’homme qui sait tout, autant que cela est possible, sans savoir les détails. |
| εἶτα τὸν τὰ χαλεπὰ γνῶναι δυνάμενον καὶ μὴ ῥᾴδια ἀνθρώπῳ γιγνώσκειν, τοῦτον σοφόν | En second lieu, on appelle philosophe celui qui peut connaître les choses difficiles et peu accessibles à la connaissance humaine; |
| (τὸ γὰρ αἰσθάνεσθαι πάντων κοινόν, διὸ ῥᾴδιον καὶ οὐδὲν σοφόν)· | or les connaissances sensibles étant communes à tous et par conséquent faciles, n’ont rien de sage. |
| ἔτι τὸν ἀκριβέστερον καὶ τὸν διδασκαλικώτερον τῶν αἰτιῶν σοφώτερον εἶναι περὶ πᾶσαν ἐπιστήμην· | Ensuite on croit que plus un homme est exact et capable d’enseigner les causes, plus il est sage en toute science. |
| καὶ τῶν ἐπιστημῶν δὲ τὴν αὑτῆς ἕνεκεν καὶ τοῦ εἰδέναι χάριν αἱρετὴν οὖσαν μᾶλλον εἶναι σοφίαν ἢ τὴν τῶν ἀποβαινόντων ἕνεκεν, | En outre, la science qu’on étudie pour elle-même et dans le seul but de savoir ressemble plus à la sagesse que celle qu’on apprend en vue de ses résultats. |
| καὶ τὴν ἀρχικωτέραν τῆς ὑπηρετούσης μᾶλλον σοφίαν· οὐ γὰρ δεῖν ἐπιτάττεσθαι τὸν σοφὸν ἀλλ’ ἐπιτάττειν, καὶ οὐ τοῦτον ἑτέρῳ πείθεσθαι, ἀλλὰ τούτῳ τὸν ἧττον σοφόν. | Enfin, de deux sciences, celle qui domine l’autre, est plutôt la philosophie que celle qui lui est subordonnée; car le philosophe ne doit pas recevoir des lois, mais en donner; et il ne doit pas obéir à un autre, mais c’est au moins sage à lui obéir. |
| Τὰς μὲν οὖν ὑπολήψεις τοιαύτας καὶ τοσαύτας ἔχομεν περὶ τῆς σοφίας καὶ τῶν σοφῶν· | Telle est la nature et le nombre des idées que nous nous formons de la sagesse et des sages. |
| τούτων δὲ τὸ μὲν πάντα ἐπίστασθαι τῷ μάλιστα ἔχοντι τὴν καθόλου ἐπιστήμην ἀναγκαῖον ὑπάρχειν | De tous ces caractères de la philosophie, celui qui consiste à savoir toutes choses, appartient surtout à l’homme qui possède le mieux la connaissance du général ; |
| (οὗτος γὰρ οἶδέ πως πάντα τὰ ὑποκείμενἀ) | car celui-là sait ce qui en est de tous les sujets particuliers. |
| σχεδὸν δὲ καὶ χαλεπώτατα ταῦτα γνωρίζειν τοῖς ἀνθρώποις, τὰ μάλιστα καθόλου | Et puis les connaissances les plus générales sont peut-être les plus difficiles à acquérir; |
| (πορρωτάτω γὰρ τῶν αἰσθήσεών ἐστιν), | car elles sont les plus éloignées des sensations. |
| ἀκριβέσταται δὲ τῶν ἐπιστημῶν αἳ μάλιστα τῶν πρώτων εἰσίν | Ensuite, les sciences les plus exactes sont celles qui s’occupent le plus des principes; |
| (αἱ γὰρ ἐξ ἐλαττόνων ἀκριβέστεραι τῶν ἐκ προσθέσεως λεγομένων, οἷον ἀριθμητικὴ γεωμετρίασ)· | en effet celles dont l’objet est plus simple sont plus exactes que celles dont l’objet est plus composé; l’arithmétique, par exemple, l’est plus que la géométrie. |
| ἀλλὰ μὴν καὶ διδασκαλική γε ἡ τῶν αἰτιῶν θεωρητικὴ μᾶλλον (οὗτοι γὰρ διδάσκουσιν, οἱ τὰς αἰτίας λέγοντες περὶ ἑκάστοὐ, | Ajoutez que la science qui peut le mieux enseigner, est celle qui étudie les causes; car enseigner, c’est dire les causes de chaque chose. |
| τὸ δ’ εἰδέναι καὶ τὸ ἐπίστασθαι αὐτῶν ἕνεκα μάλισθ’ ὑπάρχει τῇ τοῦ μάλιστα ἐπιστητοῦ ἐπιστήμῃ | De plus, savoir uniquement pour savoir, appartient surtout à la science de ce qu’il y a de plus scientifique; |
| (ὁ γὰρ τὸ ἐπίστασθαι δι’ αὑτὸ αἱρούμενος τὴν μάλιστα ἐπιστήμην μάλιστα αἱρήσεται, (982β) τοιαύτη δ’ ἐστὶν ἡ τοῦ μάλιστα ἐπιστητοῦ), | car celui qui veut apprendre dans le seul but d’apprendre, choisira sur toute autre la science par excellence, c’est-à-dire la science de ce qu’il y a de plus scientifique; |
| μάλιστα δ’ ἐπιστητὰ τὰ πρῶτα καὶ τὰ αἴτια | et ce qu’il y a de plus scientifique, ce sont les principes et les causes; |
| (διὰ γὰρ ταῦτα καὶ ἐκ τούτων τἆλλα γνωρίζεται ἀλλ’ οὐ ταῦτα διὰ τῶν ὑποκειμένων), | car c’est à l’aide des principes et par eux que nous connaissons les autres choses, et non pas les principes par les sujets particuliers. |
| ἀρχικωτάτη δὲ τῶν ἐπιστημῶν, καὶ μᾶλλον ἀρχικὴ τῆς ὑπηρετούσης, ἡ γνωρίζουσα τίνος ἕνεκέν ἐστι πρακτέον ἕκαστον· | Enfin, la science souveraine, faite pour dominer toutes les autres, est celle qui connaît pourquoi il faut faire chaque chose; |
| τοῦτο δ’ ἐστὶ τἀγαθὸν ἑκάστου, ὅλως δὲ τὸ ἄριστον ἐν τῇ φύσει πάσῃ. | or, ce pourquoi est le bien dans chaque chose, et, en général, c’est le bien absolu dans toute la nature. |
| Ἐξ ἁπάντων οὖν τῶν εἰρημένων ἐπὶ τὴν αὐτὴν ἐπιστήμην πίπτει τὸ ζητούμενον ὄνομα· | De tout ce que nous venons de dire, il résulte que le mot dont nous avons recherché les diverses significations, se rapporte à une seule et même science. |
| δεῖ γὰρ ταύτην τῶν πρώτων ἀρχῶν καὶ αἰτιῶν εἶναι θεωρητικήν· | Une telle science s’élève aux principes et aux causes; |
| καὶ γὰρ τἀγαθὸν καὶ τὸ οὗ ἕνεκα ἓν τῶν αἰτίων ἐστίν. | or, le bien, la raison des choses, est au nombre des causes. |
| Ὅτι δ’ οὐ ποιητική, δῆλον καὶ ἐκ τῶν πρώτων φιλοσοφησάντων· | Et qu’elle n’a pas un but pratique, c’est ce qui est évident par l’exemple des premiers qui se sont occupés de philosophie. |
| διὰ γὰρ τὸ θαυμάζειν οἱ ἄνθρωποι καὶ νῦν καὶ τὸ πρῶτον ἤρξαντο φιλοσοφεῖν, | Ce fut en effet l’étonnement d’abord comme aujourd’hui, qui conduisit les hommes à philosopher. |
| ἐξ ἀρχῆς μὲν τὰ πρόχειρα τῶν ἀτόπων θαυμάσαντες, εἶτα κατὰ μικρὸν οὕτω προϊόντες καὶ περὶ τῶν μειζόνων διαπορήσαντες, | Entre les phénomènes qui les frappaient, leur curiosité se porta d’abord sur ce qui était le plus à leur portée ; |
| οἷον περί τε τῶν τῆς σελήνης παθημάτων καὶ τῶν περὶ τὸν ἥλιον καὶ ἄστρα καὶ περὶ τῆς τοῦ παντὸς γενέσεως. | puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils en vinrent à se demander compte de plus grands phénomènes, comme des divers états de la lune, du soleil, des astres, et enfin de l’origine du tout. |
| Ὁ δ’ ἀπορῶν καὶ θαυμάζων οἴεται ἀγνοεῖν | Or, douter et s’étonner, c’est reconnaître son ignorance. |
| (διὸ καὶ ὁ φιλόμυθος φιλόσοφός πώς ἐστιν· | Voilà pourquoi on peut dire en quelque manière que l’ami de la philosophie est aussi celui des mythes; |
| ὁ γὰρ μῦθος σύγκειται ἐκ θαυμασίων)· | car la matière du mythe, c’est l’étonnant, le merveilleux. |
| ὥστ’ εἴπερ διὰ τὸ φεύγειν τὴν ἄγνοιαν ἐφιλοσόφησαν, φανερὸν ὅτι διὰ τὸ εἰδέναι τὸ ἐπίστασθαι ἐδίωκον καὶ οὐ χρήσεώς τινος ἕνεκεν. | Si donc on a philosophé pour échapper à l’ignorance, il est clair qu’on a poursuivi la science pour savoir et sans aucun but d’utilité. |
| Μαρτυρεῖ δὲ αὐτὸ τὸ συμβεβηκός· σχεδὸν γὰρ πάντων ὑπαρχόντων τῶν ἀναγκαίων καὶ πρὸς ῥᾳστώνην καὶ διαγωγὴν ἡ τοιαύτη φρόνησις ἤρξατο ζητεῖσθαι. | Le fait en fait foi : car tout ce qui regarde les besoins, le bien-être et la commodité de la vie était déjà trouvé, lorsqu’on entreprit un tel ordre de recherches. |
| Δῆλον οὖν ὡς δι’ οὐδεμίαν αὐτὴν ζητοῦμεν χρείαν ἑτέραν, ἀλλ’ | Il est donc évident que nous ne cherchons la sagesse dans aucun intérêt étranger ; |
| ὥσπερ ἄνθρωπος, φαμέν, ἐλεύθερος ὁ αὑτοῦ ἕνεκα καὶ μὴ ἄλλου ὤν, οὕτω καὶ αὐτὴν ὡς μόνην οὖσαν ἐλευθέραν τῶν ἐπιστημῶν· | et comme nous appelons homme libre celui qui s’appartient à lui-même et qui n’appartient pas à un autre, de même la philosophie est de toutes les sciences la seule libre; |
| μόνη γὰρ αὕτη αὑτῆς ἕνεκέν ἐστιν. | car seule elle est à elle-même son propre but. |
| Διὸ καὶ δικαίως ἂν οὐκ ἀνθρωπίνη νομίζοιτο αὐτῆς ἡ κτῆσις· | Aussi, ne serait-ce pas sans quelque raison qu’on regarderait comme plus qu’humaine la possession de cette science; |
| πολλαχῇ γὰρ ἡ φύσις δούλη τῶν ἀνθρώπων ἐστίν, | car la nature de l’homme est esclave à beaucoup d’égards; |
| ὥστε κατὰ Σιμωνίδην « θεὸς ἂν μόνος τοῦτ’ ἔχοι γέρας », ἄνδρα δ’ οὐκ ἄξιον μὴ οὐ ζητεῖν τὴν καθ’ αὑτὸν ἐπιστήμην. | « la divinité seule, pour parler comme Simonide, aurait ce privilège », et il ne convient pas à l’homme de ne pas se borner à la science qui est à son usage. |
| Εἰ δὴ λέγουσί τι οἱ ποιηταὶ καὶ πέφυκε φθονεῖν τὸ θεῖον, (983α) ἐπὶ τούτου συμβῆναι μάλιστα εἰκὸς καὶ δυστυχεῖς εἶναι πάντας τοὺς περιττούς. | Si donc les poètes disent vrai, et si la nature divine doit être envieuse, c’est surtout au sujet de cette prétention, et tous les téméraires qui la partagent, en portent la peine. |
| Ἀλλ’ οὔτε τὸ θεῖον φθονερὸν ἐνδέχεται εἶναι, ἀλλὰ κατὰ τὴν παροιμίαν πολλὰ ψεύδονται ἀοιδοί, οὔτε τῆς τοιαύτης ἄλλην χρὴ νομίζειν τιμιωτέραν. | Mais la divinité ne peut connaître l’envie; les poètes, comme dit le proverbe, sont souvent menteurs, et il n’y a pas de science à laquelle il faille attacher plus de prix. |
| Ἡ γὰρ θειοτάτη καὶ τιμιωτάτη· τοιαύτη δὲ διχῶς ἂν εἴη μόνη· | Car la plus divine est celle qu’on doit priser le plus; or, celle-ci porte seule ce caractère à un double titre. |
| ἥν τε γὰρ μάλιστ’ ἂν ὁ θεὸς ἔχοι, θεία τῶν ἐπιστημῶν ἐστί, κἂν εἴ τις τῶν θείων εἴη. | En effet, une science qui appartiendrait à Dieu, et qui s’occuperait de choses divines, serait sans contredit une science divine : |
| Μόνη δ’ αὕτη τούτων ἀμφοτέρων τετύχηκεν· | et seule, celle dont nous parlons satisfait à ces deux conditions. |
| ὅ τε γὰρ θεὸς δοκεῖ τῶν αἰτίων πᾶσιν εἶναι καὶ ἀρχή τις, καὶ τὴν τοιαύτην ἢ μόνος ἢ μάλιστ’ ἂν ἔχοι ὁ θεός. | D’une part, Dieu est reconnu de tout le monde comme le principe même des causes; et de l’autre, la science des causes lui appartient exclusivement ou dans un degré supérieur. |
| Ἀναγκαιότεραι μὲν οὖν πᾶσαι ταύτης, ἀμείνων δ’ οὐδεμία. | Ainsi toutes les sciences sont plus nécessaires que la sagesse, mais nulle n’est plus excellente. |
| Δεῖ μέντοι πως καταστῆναι τὴν κτῆσιν αὐτῆς εἰς τοὐναντίον ἡμῖν τῶν ἐξ ἀρχῆς ζητήσεων. | Et rien ne diffère plus que la possession de cette science et son début. |
| Ἄρχονται μὲν γάρ, ὥσπερ εἴπομεν, ἀπὸ τοῦ θαυμάζειν πάντες εἰ οὕτως ἔχει, | On commence, ainsi que nous l’avons dit, par s’étonner que les choses soient de telle façon ; |
| καθάπερ τῶν θαυμάτων ταὐτόματα (τοῖς μήπω τεθεωρηκόσι τὴν αἰτίαν) ἢ περὶ τὰς τοῦ ἡλίου τροπὰς ἢ τὴν τῆς διαμέτρου ἀσυμμετρίαν | et comme on s’émerveille en présence des automates, quand on n’en connaît pas les ressorts, de même nous nous étonnons des révolutions du soleil et de l’incommensurabilité du diamètre; |
| (θαυμαστὸν γὰρ εἶναι δοκεῖ πᾶσι εἴ τι τῷ ἐλαχίστῳ μὴ μετρεῖταἰ· | car il semble étonnant à tout le monde qu’une quantité ne puisse être mesurée par une quantité si petite qu’elle soit. |
| δεῖ δὲ εἰς τοὐναντίον καὶ τὸ ἄμεινον κατὰ τὴν παροιμίαν ἀποτελευτῆσαι, καθάπερ καὶ ἐν τούτοις ὅταν μάθωσιν· | C’est, comme dit le proverbe, par le contraire et par le meilleur qu’il faut finir, comme il arrive dans le cas que nous venons de citer, lorsqu’enfin on est parvenu à s’en rendre compte : |
| οὐθὲν γὰρ ἂν οὕτως θαυμάσειεν ἀνὴρ γεωμετρικὸς ὡς εἰ γένοιτο ἡ διάμετρος μετρητή. | car rien n’étonnerait plus un géomètre que si le diamètre devenait commensurable. |
| Τίς μὲν οὖν ἡ φύσις τῆς ἐπιστήμης τῆς ζητουμένης, εἴρηται, καὶ τίς ὁ σκοπὸς οὗ δεῖ τυγχάνειν τὴν ζήτησιν καὶ τὴν ὅλην μέθοδον. | Nous venons de déterminer la nature de la science que nous cherchons, le but de cette science et de tout notre travail. |